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que tout récemment, par son projet de mariage avec la jeune princesse Marie de Teck, — un gracieux et idyllique roman auquel les Anglais s’étaient intéressés. Tout a contribué à donner à cette mort prématurée une sorte d’intérêt mélancolique, et l’accablement de la vieille souveraine atteinte dans sa race, et la muette douleur du prince de Galles, et l’infortune de cette jeune princesse frappée dans ses espérances de royale fiancée. On n’a pas vu souvent une grande nation s’associer librement, spontanément, d’un élan universel, au deuil de sa reine et de ses princes. C’est ce qu’on vient de voir en Angleterre, où le loyalisme dynastique s’allie sans effort à la fierté d’un peuple libre.

Quel que soit le deuil qui vient d’attrister l’Angleterre, d’ailleurs, il n’est qu’une diversion douloureuse ; il ne change évidemment rien à la situation politique telle qu’elle existe depuis quelque temps, à l’état des partis qui vont se retrouver en présence dans le parlement, près de se rouvrir, qui en sont déjà à se préparer pour la lutte des élections prochaines. Ce serait une puérilité de chercher à prédire ce que seront ces élections, d’autant plus qu’entre l’ouverture de cette session, qui sera la dernière du parlement, et la date encore incertaine du grand scrutin, il y a toujours l’imprévu qui peut modifier toutes les chances des partis. Le seul fait certain, c’est que le progrès de l’évolution libérale de l’opinion anglaise se manifeste dans toutes les élections partielles. Ce travail, qui s’accomplit sous l’inspiration et la direction du grand vieillard libéral Gladstone, qui a passé par bien des péripéties, a pu se ralentir ou s’accélérer : il n’a pas cessé un instant, et il vient de s’accentuer dans une circonstance assez caractéristique. Le vieux duc de Devonshire est mort il y a quelque temps, laissant son titre et sa pairie à son fils aîné, qui est justement lord Hartington, le chef des libéraux dissidens alliés des conservateurs et de lord Salisbury. Le passage du nouveau duc de Devonshire à la chambre des pairs pouvait déjà être un affaiblissement pour l’alliance des libéraux unionistes avec le ministère tory ; mais voici qui est plus grave ! Quel serait, aux communes, le successeur de lord Hartington comme représentant du district qu’il a laissé vacant à Rossendale, dans le Lancashire ? Le scrutin a prononcé. L’unionisme a été encore une fois vaincu. C’est le candidat libéral appuyé par M. Gladstone qui l’a emporté, et même avec une grande majorité. Si ce n’est pas pour les libéraux le présage d’une victoire certaine aux grandes élections, c’est du moins le signe des progrès du libéralisme et de la popularité du vieux chef qui retrempe en ce moment ses forces dans le midi de la France, aux bords de la Méditerranée.

La mort, par cette saison d’hiver et de malfaisantes influences, frappe indistinctement dans tous les pays, dans toutes les positions. Elle a fait depuis peu des victimes à Londres comme à Berlin, à Rome comme à Paris ; elle en a fait à Vienne, où ont disparu deux ou trois