Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
REVUE DES DEUX MONDES.


mières armes devant l’ennemi et envoyés dans quelque poste de l’intérieur. La prudence des commissaires civils et du secrétaire de l’Inde en a décidé autrement. Ces jeunes fonctionnaires débutent par être adjoints à des fonctionnaires supérieurs. C’est leur période « d’école d’application ; » seulement, ils la passent non dans une école, mais sur le terrain. Pour bien marquer d’un mot (les Anglais excellent dans cette création de vocables significatifs, — rappelez-vous ''probationer) quelle est leur situation, on les appelle ineffective officers. Ineffective, ils le sont doublement : ils ne comptent pas à l’effectif légalement fixé et ils n’ont aucune autorité propre. Ils sont des élèves et des auxiliaires. Ils se perfectionnent dans la langue, le droit, l’histoire, la géographie de la région où ils doivent résider. Placés près de hauts fonctionnaires, embrassant d’un coup d’œil toutes les affaires et toute la série des opérations, ils acquièrent à la fois et le sens pratique de l’administration et la notion de l’importance relative de chaque fonction. Quand ce stage est fini, alors seulement ils reçoivent un poste actif.

Une enquête rigoureuse sur les aptitudes physiques et sur la moralité ; un concours facile seulement pour les élèves les plus distingués des universités, et qui implique, en somme, une vaste instruction générale ; une année de probation ; de nouvelles enquêtes ; un sévère examen d’équitation ; puis un examen final ; enfin, un stage en qualité d’ineffective officer, voilà par où ont dû passer les fonctionnaires de l’Inde avant d’être nommés titulaires. Et ces fonctionnaires sortent d’une élite. Qu’est-ce donc qui a pu les faire ou si résignés ou si ambitieux ? Nous l’avons déjà fait pressentir ; ce sont les avantages de toute nature que très sagement on a attachés aux fonctions de l’Inde et dont nul ne jouira qui n’aura pas suivi la filière accoutumée. Il serait trop long et d’ailleurs sans intérêt de les exposer ici avec autant de détails que nous venons de faire le mode de recrutement. Il suffira de les indiquer d’un mot. Les fonctionnaires de nos colonies, mal payés, mal soutenus par leurs chefs, n’ayant, contre des disgrâces imprévues, ni recours dans le présent, ni garantie pour l’avenir, menacés à chaque pas de voir leur carrière brisée, puis portés, soudainement et sans cause légitime, de la révocation imminente aux plus hautes situations, ces fonctionnaires apprécieront pleinement tout ce que donne à leurs confrères de l’Inde de repos d’esprit et de satisfaction morale cette simple formule : carrière sûre, régulière et paisible ; solde considérable ; pension de retraite magnifique ; honneurs éventuels, avec une place dans les conseils du gouvernement[1].

  1. Si l’espace ne nous eût fait défaut, nous aurions aimé à montrer ce qu’il y a derrière cette formule générale, laquelle peut, en quelques lignes, s’analyser ainsi :