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tions qu’on lui rendra possibles, favorablement disposé, on le sent, pour notre pays, au milieu de toutes les influences qui l’assiègent. Il faudrait avoir les yeux fermés sur les affaires du monde pour ne pas comprendre l’intérêt qu’a la France à s’entendre avec ce souverain pontife, écouté et respecté en Europe. D’autres gouvernemens l’ont bien senti, et justement lorsqu’ils ont cru voir récemment les conflits religieux se réveiller en France, ils se sont hâtés d’entourer Léon XIII. Ils se sont flattés, à ce qu’il semble, de le gagner par des promesses, de l’attirer dans un camp qui ne serait pas précisément un camp ami pour nous. Tout peut dépendre de ce qu’on fera pour rester en bonne intelligence avec le chef de la catholicité, et ce n’est sûrement pas à l’heure qu’il est un médiocre intérêt. Les radicaux seuls peuvent ne pas le voir.

Chose étrange ! dans notre généreux et infortuné pays, tout ce que la raison entrevoit, prépare ou fait, les passions sont perpétuellement occupées à le défaire. Depuis un an sans doute, il s’est passé quelques événemens heureux. Que ce soit l’œuvre des circonstances, que ce soit le fruit d’une politique de prudence et de persévérance, il est certain qu’il y a eu un moment où la France a paru sortir de son isolement et reprendre avec éclat sa place parmi les nations. Tout le monde a salué l’événement. En même temps, on semble s’étudier à atténuer ce succès qui paraissait fait pour ouvrir une ère nouvelle dans nos rapports. D’un côté, on fait ce qu’on peut pour s’aliéner un pontife qui reste, à travers tout, la plus grande puissance morale du monde. D’un autre côté, par les nouveaux tarifs, on va au-devant d’une redoutable crise des intérêts par une rupture au moins momentanée de tous les rapports commerciaux. Les traités qu’on essaie de négocier ou de proroger pour ménager la transition ne sont, dans tous les cas, que des expédiens temporaires. Demain, c’est l’inconnu, dans une situation sans garanties et sans débouchés assurés. De sorte que, par un phénomène étrange, au moment où l’on croyait rentrer dans le concert des nations, on s’expose à revenir, par une fausse politique religieuse, à l’isolement moral, par une politique de protectionnisme outré, à l’isolement commercial. Voilà le péril, et c’est ce qui fait que la France, en entrant dans l’année nouvelle, n’est peut-être pas sans éprouver quelque inquiétude de l’avenir qu’on lui prépare.

A la vérité, cette expérience nouvelle, si sérieuse qu’elle soit, a la chance heureuse de commencer pour la France dans un moment où la paix règne en Europe, où il n’y a point, à part les conflits commerciaux, de ces grosses questions dont les gouvernemens ne sont pas toujours maîtres. Les problèmes de politique internationale, sans avoir disparu, restent ce qu’ils étaient. Ce n’est pas ou ce n’est plus une question que cet incident franco-bulgare né il y a quelques semaines d’un hasard, d’une fantaisie dictatoriale de M. Stamboulof.