Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans toutes ses manifestations. On se contente de cerner pour ainsi dire de toutes parts l’idée religieuse, de l’atteindre sous toutes les formes, dans tout ce qui la représente, — par l’inquisition sur les croyances, par les vexations de police, même par des mesures fiscales comme ce « droit d’accroissement » qui est une véritable confiscation et que la cour de cassation vient d’atténuer par une interprétation plus libérale. Au surplus, les radicaux qui ne font pas de diplomatie, qui ont imposé et plus ou moins conduit cette campagne de dix ans, ne déguisent pas leur vraie pensée. Ils vivent de la guerre religieuse qu’ils s’efforcent sans cesse de reprendre, d’envenimer et de pousser jusqu’au bout. Ce qu’ils redoutent le plus, c’est la paix et tout ce qui peut la préparer. Ils craignent l’adhésion des cardinaux au moins autant que leur hostilité, et ne cachent pas que le fond de leur politique, c’est la guerre au catholicisme lui-même ou pour mieux dire à toute religion. C’est là le danger : il est dans ce fanatisme de secte qui fausse la situation, perpétue l’équivoque, entretient les défiances et rend si difficiles toutes les tentatives d’apaisement.

Que les esprits extrêmes dans tous les camps, puisqu’il y en a dans tous les camps, trouvent leur compte à prolonger l’équivoque et la guerre, c’est tout simple : ils suivent leur penchant, ils ont l’instinct que la paix est la ruine de leurs calculs et de leurs espérances. Ce sont les politiques de l’irréconciliabilité entre la république et l’état religieux plus ou moins garanti jusqu’ici par le Concordat. Il est cependant impossible que les esprits plus prévoyans, plus réfléchis, dans le gouvernement, dans tous les partis sensés, ne sentent pas que le moment est venu de se dégager de ces contradictions ou de ces fatalités, qu’il y a pour le pays, pour la république elle-même, un intérêt supérieur, un double intérêt à rentrer dans une situation plus régulière. L’intérêt intérieur est évident. Il est bien clair que tant qu’on vivra dans ces fatigans conflits, tant qu’on en sera à inquiéter les croyances, à faire la guerre à des desservans, à des instituteurs congréganistes, à de malheureuses sœurs de charité, à des communautés pressurées par le fisc, rien ne sera fait. Il restera partout une sorte de tension intime qui n’est jamais sans péril. La république n’en sera pas menacée sur le moment, c’est possible ; elle sera exposée à avoir contre elle les sentimens religieux qu’on s’efforcera d’exciter, de rallier et d’exploiter. On aura même moins d’autorité pour réprimer les excès de cléricalisme, pour maintenir les vrais droits de l’État, parce que les partis hostiles auront toujours la ressource de dire que c’est la religion qu’on poursuit. A l’extérieur, la question est bien autrement grave, elle se lie à toute une situation européenne. Que M. le ministre des affaires étrangères, que M. le président du conseil veuillent bien y réfléchir. Il y a aujourd’hui au Vatican un pape qui est un politique à l’esprit supérieur et clairvoyant, enclin aux transac-