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rentes, ne laisse pas d’être un peu obscur ou énigmatique. Pourquoi est-il apparu justement à l’heure qu’il est, presque à l’improviste ? Quelle raison ont eu pour se réunir et concerter leurs déclarations des hommes qui sont sans doute les premiers personnages de l’Église de France, qui sont dignes de respect, mais qui n’avaient pas, à ce qu’il semble, un mandat précis et régulier pour tracer une règle de conduite ? Ont-ils obéi à des instructions du souverain pontife ? Existe-t-il au contraire, comme on l’a dit, une lettre du pape Léon XIII, différente sinon d’esprit, du moins de forme, plus explicite, — et que les cardinaux français ont cru pouvoir interpréter ou devancer ? De plus, quelle est au juste la signification de ce nouveau manifeste qu’on n’attendait pas, dont l’origine demeure assez mystérieuse ? Par son exposé des motifs, il ressemble à une déclaration de guerre ; par ses conclusions, il ressemble à un acte de paix et de conciliation. Il y a le pour et le contre ! On peut choisir, et en définitive on se retrouve toujours au même point ; on reste entre deux courans, entre deux mouvemens dont l’un, favorisé par Léon XIII lui-même, irait plus résolument à la paix, et l’autre tendrait à continuer l’agitation ou à ne désarmer que sous condition.

Une chose est certaine et elle se dégage de toutes ces contradictions, de tous ces incidens qui se succèdent depuis quelque temps, du fond même de la situation : c’est qu’aujourd’hui aussi bien qu’hier, après comme avant les manifestes, l’apaisement des querelles religieuses reste une grande nécessité publique. Cet apaisement, il n’est pas seulement dans l’instinct du pays, qui en a assez des luttes stériles, qui sent bien que la paix morale est pour lui un gage de force ; il est le vœu d’un pape éclairé et prévoyant ; il est certainement aussi le vœu des cardinaux qui viennent de parler avec un peu de diplomatie, d’une grande partie du clergé français qui ne parle pas, — et si ce mouvement de pacification est contrarié, c’est qu’il y a dans notre situation, telle qu’elle est faite depuis longtemps, une dangereuse équivoque.

M. Léon Say, dans un discours sensé et modéré qu’il prononçait récemment à Pau, disait que la vraie politique était de se conduire en hommes également et sincèrement résolus à maintenir les droits de l’État et à respecter les croyances, à « ne pas faire la guerre à la religion. » Là est toute la question, et là est l’équivoque de la politique suivie depuis dix ans. La vérité est que dans tout ce qu’on a fait il y a une violence de secte doublée d’une certaine hypocrisie. Un des chefs du radicalisme parlementaire, M. Goblet, commentant justement les paroles de M. Léon Say, disait ces jours passés encore qu’on ne faisait pas la guerre à la religion, que les républicains n’avaient jamais eu cette pensée. C’est une assez singulière plaisanterie. Non, on ne fait pas la guerre à la religion ; on se borne à la poursuivre dans ses œuvres, dans ses principes, dans ses symboles, dans ses traditions,