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pays, on en conviendra, que ce travail décousu et précipité auquel on vient de se livrer, cette confusion d’une session extraordinaire allant se perdre dans une session ordinaire pour aboutir à des vacances qu’on prend aujourd’hui, au moment où les délibérations régulières devraient commencer. On s’est si bien arrangé, qu’il a fallu tout bâcler en quelques jours. Ce n’est qu’à la dernière heure, à bout de fatigue, d’efforts et de petits conflits, que nos chambres ont pu se mettre d’accord pour expédier un budget qu’on peut bien appeler cette fois, et plus que jamais, une cote mal taillée. La chambre du Palais-Bourbon a défendu à outrance ses crédits et ses combinaisons ; le sénat a défendu tant qu’il l’a pu son droit de contrôle et de révision. On a fini par céder un peu de part et d’autre : il le fallait bien, si on voulait avoir un budget avant de se séparer pour trois semaines. On n’en serait pas là tous les ans, si on mettait plus de maturité et de prévoyance dans le travail, si on se décidait à ne pas tout remuer à la fois, à ne pas introduire la confusion dans le budget et à ne point attendre la dernière heure, si on avait en un mot des mœurs parlementaires plus sérieuses. Le malheur est qu’on pratique le régime parlementaire à la diable, que l’incohérence n’exclut pas la violence, et qu’il y a toujours place dans ces débats désordonnés pour l’imprévu sous toutes les formes. Ce n’était certainement pas la peine de prolonger indéfiniment la dernière représentation de nos chambres pour clore le spectacle par une scène de brutalité où la main a remplacé la parole, où M. le ministre de l’intérieur s’est cru le droit d’exécuter sommairement et lestement un député qui tenait à le mettre sur la sellette. Pour le coup, les mœurs nouvelles ont éclaté, en plein parlement, dans ce qu’elles ont de plus expressif.

Au fond, c’est peut-être ce qu’on pourrait appeler un épilogue du boulangisme, de cette médiocre et malfaisante aventure qui a laissé plus de traces qu’on ne croit, qui n’a pas peu contribué à avilir les polémiques et la vie parlementaire elle-même. Les derniers séides du boulangisme, c’est bien visible, n’ont pas encore pardonné à M. le ministre de l’intérieur la dextérité avec laquelle il a eu raison de l’aventure et de son héros, en réduisant ce qui avait été un péril à n’être plus qu’une ridicule fantasmagorie. Depuis quelque temps déjà, un journal, qui s’est fait l’expression de toutes les haines déchaînées contre M. Constans, est occupé à poursuivre une campagne implacable, ramassant tout ce qu’il a pu trouver d’accusations déshonorantes, de bruits louches et d’ignominies pour en accabler M. le ministre de l’intérieur. Cette campagne, cependant, restait sans écho ; on a voulu apparemment lui donner par une interpellation parlementaire le retentissement de la tribune, en s’assurant un moyen de lire tout haut quelques-uns de ces articles injurieux dont M. Constans semblait ne s’être point ému jusque-là. On a voulu, en d’autres termes,