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qu’immoralité. Là serait le point faible de l’Histoire des variations. Mais alors, en posant avec plus de force que personne peut-être ne l’avait fait jusqu’à lui les conditions de la religion ; en montrant qu’il n’y a pas de religion sans une révélation à son origine, sans une assistance de Dieu qui la soutienne dans sa suite, et sans une discipline, c’est-à-dire sans une Église qui en soit la manifestation visible, il aurait dénoncé, dès la fin du XVIIe siècle, la dangereuse équivoque où cependant aujourd’hui même nous nous débattons toujours ; et par là son livre serait toujours « actuel. » Comme le dit en effet M. Rébelliau, de « tels livres sont féconds en conséquences imprévues. Leur choc puissant ne détermine pas seulement des réactions immédiates, mais des ondulations lointaines, propres à surprendre l’auteur même, de qui elles dépassent l’ambition ou parfois contrarient les courtes vues. » Je souligne dans cette conclusion quatre ou cinq mots qu’il me serait difficile d’accepter. Les vues de Bossuet n’étaient pas si « courtes, » et il a perdu la bataille, puisque la réunion ne s’est point opérée ; mais s’il serait fâché de sa défaite, en serait-il vraiment « surpris ? » Je crois plutôt qu’il l’a prévue, et qu’indépendamment de son goût pour l’unité, s’il a tant travaillé à la réunion, c’est qu’il voyait venir les temps où ce ne serait pas trop de toutes les forces de la chrétienté pour résister à la libre pensée.

Quoi qu’il en soit, félicitons encore une fois M. Rébelliau de la remarquable étude qu’il nous a donnée sur l’Histoire des variations. Comme nous avons essayé de le dire, il est de ceux qui ne croient pas que l’unique objet de la critique soit de peser des syllabes, de « regretter des mots douteux au jugement, » et d’admirer des tournures de phrases. Non qu’elle doive méconnaître, et encore moins mépriser, cette partie de sa tâche. Nous estimons seulement qu’il y a temps pour tout. On peut étudier dans Malherbe « le pouvoir d’un mot mis en sa place ; » on le peut, et même on le doit ; c’est une étude nécessaire. Mais quand on veut parler de Bossuet, c’est-à-dire du seul de nos grands écrivains qui n’ait jamais écrit pour écrire, il serait honteux de ne pas le suivre sur le terrain des idées et de l’action. M. Rébelliau l’a compris, et le succès de son livre le récompensera de son courage et de sa sincérité. Ce qui le récompensera mieux encore, ce sera si, comme nous l’espérons, son livre rectifie quelques idées trop fausses que l’on se fait encore en France de l’œuvre, du caractère, et du génie de Bossuet.


F. BRUNETIERE.