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d’historiens en renom, de Mézeray, par exemple, ou de Davila, que cependant « Jurieu lui-même, dans ses ouvrages de controverse, allègue à chaque pas. » Moins difficiles que Bossuet, il nous arrive trop souvent encore aujourd’hui d’écrire l’histoire de son temps avec les Mémoires de Saint-Simon, quand ce n’est pas avec les Lettres de Mme du Noyer. Sévère dans le choix de ses textes, il ne l’est pas moins dans l’emploi qu’il en fait. « Parmi les traités, il prend les plus célèbres, ceux où il y a lieu de penser que l’auteur s’est mis le plus complètement, et se fût reconnu le mieux. » Avons-nous toujours les mêmes scrupules ? et, par exemple, pour parler de lui, Bossuet, est-ce ordinairement dans son Histoire des variations que nous l’étudions ? « Il ne prend pas non plus au hasard à travers les lettres. » N’est-ce pas, au contraire, ce que nous faisons, nous, quand nous parlons de Voltaire, et n’abusons-nous pas quelquefois contre lui de sa Correspondance ?

On lui adresse un autre reproche ; on trouve qu’il n’a pas assez loué Luther et Calvin ; on se plaint qu’il ait mis en lumière quelques côtés plus fâcheux de leur caractère, en en laissant les plus beaux dans l’ombre. Et, en effet, quoiqu’il soit convenu lui-même, dès le début de son Histoire, de la nécessité d’une « réformation de l’Église dans son chef et dans ses membres, » il semble bien que, dans la suite, il l’ait trop oublié. Si la Réforme n’a sans doute rien eu de surnaturel ni de divin dans son principe, toujours est-il qu’elle a eu quelque chose de profondément moral, et en ce sens de vraiment chrétien. On voudrait que Bossuet l’eût dit plus fortement. Car, pour ce qui est d’avoir opposé la beauté des promesses à la réalité des faits, je ne sache pas qu’il y ait rien de plus légitime. Si l’on n’a pas le droit d’exiger des autres ce que l’on ne fait pas soi-même, et bien moins sans doute encore de leur reprocher ce que l’on fait, les réformateurs étaient tenus de mener une vie plus pure que ce clergé catholique dont ils se séparaient, comme aussi d’obéir à des mobiles plus désintéressés. Puisqu’ils se donnaient pour les successeurs des apôtres et puisqu’ils prétendaient ramener le christianisme à la pureté de son institution primitive, on était en droit de s’étonner ou de s’indigner même qu’ils eussent accepté, pour faire triompher leur doctrine, la complicité des intérêts matériels. En le leur reprochant, Bossuet ne manquait donc à aucun des devoirs de l’historien. Peut-être seulement oubliait-il un peu lui-même qu’il n’écrivait pas l’histoire de la Réforme, mais celle des Variations des églises protestantes, et se laissait-il emporter par l’ardeur de la polémique, non pas précisément au-delà de son droit, mais plutôt au-delà des nécessités de son sujet.

Il s’est d’ailleurs quelquefois trompé, mais en historien, si je puis ainsi dire, induit en erreur par de bons témoins, comme cela peut arriver à tout le monde. Par exemple, il a eu tort d’en croire Paolo