Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avait pas cette vanité d’auteur. M. Rébelliau n’a pas moins heureusement montré « l’étroit rapport » des Variations avec tout ce que la controverse a produit d’ouvrages au XVII" siècle, et avec la préoccupation peut-être la plus constante et la plus active de Bossuet : c’est celle de la Réunion. Si l’Histoire des variations avait opéré seulement des effets analogues à ceux du Sermon sur l’unité de l’Église, Bossuet serait mort content. Mais il était possible de remonter plus haut encore, de faire voir l’Histoire des variations s’ébauchant, pour ainsi parler, dans l’Oraison funèbre d’Henriette de France, et le plan même s’en dessinant déjà dans un des premiers sermons de Bossuet, Pour la vêture d’une nouvelle catholique, prononcé à Metz en 1654. « Ecclesia ab apostolis, apostoli a Christo, Christus a Deo tradidit. O la belle chaîne, s’écriait le jeune prédicateur, ô la sainte concorde, ô la divine tissure que nos nouveaux docteurs ont rompue ! .. » C’est toute l’Histoire des variations ; et, chose curieuse ! les digressions mêmes auxquelles plus tard on accusera Bossuet de s’être laissé indûment entraîner sur les albigeois et sur les hussites, elles sont déjà indiquées dans ce même Sermon. « Car, lorsqu’on nous allègue les hussites et les albigeois, chrétiens, vous voyez assez combien cette évasion est frivole. Les hussites et les albigeois venaient eux-mêmes, à ce qu’ils disaient, dresser de nouveau l’Eglise. Et je demanderai toujours où était l’Eglise avant les hussites ? où était-elle avant les albigeois ? » Bien loin donc, on le voit, que l’Histoire des variations soit un ouvrage de circonstance, comme par exemple les Maximes sur la comédie, ou comme l’Instruction sur les états d’oraison, comme en un certain sens encore les Oraisons funèbres ou comme le Discours sur l’Histoire universelle, c’est ici l’ouvrage qu’avant de le produire, Bossuet a porté, qu’il a médité pendant plus de trente ans, et n’est-ce pas ce qui en explique la singulière beauté ?

Parce qu’il a été longuement mûri, et comme élaboré, si je puis ainsi dire, par trente ans de méditation intérieure, le plan n’en a rien de rigide ou de compassé, mais au contraire quelque chose de souverainement libre. C’est la manière de Bossuet, — dont on ne sent jamais si bien l’air d’inspiration et de liberté que quand on la compare à la manière logique ou scolastique de Bourdaloue, mais dont on ne saisit jamais mieux la rigueur cachée, que quand on la compare à la manière discursive et désordonnée de Bayle. Vous diriez ici qu’il suit l’ordre des temps, et, quand il s’en écarte, si vous saisissez toujours le rapport de ses digressions avec ce qui les précède, peut-être en apercevez-vous d’abord moins clairement la liaison avec l’ensemble et l’unité du livre. C’est qu’il faut voir qu’il a réduit sa matière à trois points principaux, qui sont ceux de la justification, de l’eucharistie, de l’autorité de l’Eglise, et que du premier dépend toute la