Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/701

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour se faire une juste idée de l’Histoire des variations, il n’en est pas de meilleur moyen que de commencer par s’abstenir curieusement de la lire. Et, en effet, puisqu’il importe à une certaine opinion que Bossuet ne soit qu’un « orateur, » et son œuvre elle-même, y compris le Discours sur l’Histoire universelle ou les Élévations sur les mystères, que ce que l’on appelle assez dédaigneusement de la « littérature, » je conviens qu’il vaut mieux en croire sur leur parole nos « penseurs » et nos « historiens, » que d’y regarder de plus près…

Ce n’est heureusement pas l’avis de tout le monde, et, en particulier, ce n’est pas celui de M. Alfred Rébelliau dans son excellent livre sur Bossuet, historien du protestantisme. Si quelques admirateurs sincères de Bossuet, — que l’on pourrait nommer, — ont eux-mêmes presque passé condamnation sur l’Histoire des variations, et n’en ont retenu, pour l’admirer, que la « forme, » M. Rébelliau les a trouvés, en vérité, trop tièdes, et bien peu courageux. Connaissant mieux son Bossuet, et, comme tous ceux qui le connaissent, l’ayant d’autant plus admiré ou aimé qu’il le connaissait davantage, il a voulu le venger des accusations ou des insinuations de ceux qui le connaissent moins. Il s’est proposé de montrer que, si Bossuet n’a pas compris la Réforme, c’est exactement dans la mesure où ses contemporains, — je dis les protestans, — ne l’ont pas comprise, ni depuis eux beaucoup de ceux qui croient le mieux la comprendre. Enfin, ne pensant pas que la première vertu que l’on doive exiger d’un historien, ce soit de mal écrire, ou de ne pas écrire du tout, M. Rébelliau s’est fait fort de prouver qu’après deux cents ans, l’Histoire des variations demeurait encore l’un des meilleurs livres et des mieux informés qu’on puisse lire sur l’histoire du protestantisme. J’estime qu’il y a réussi ; et son Bossuet historien, qui fait le plus grand honneur à son talent d’écrivain, n’en fait pas moins, s’il n’en fait davantage encore, à sa conscience d’érudit, à sa probité de critique, et à son courage d’esprit.

Non qu’il ait tout loué de l’Histoire des variations, et que, par exemple, il y ait méconnu des traces d’impatience, d’irritation, de passion, si l’on veut, ou, pour mieux dire, d’humanité. Bossuet, — dont tous ceux qui l’ont connu d’un peu près ont vanté la douceur, et je ne parle pas de ceux qui la lui ont même reprochée, — Bossuet n’était pas un ange. Lorsque Jurieu, le pasteur Jurieu, un homme de Dieu, cependant, l’attaquait sur « son ignorance crasse et surprenante, » ou parlait de son « front d’airain, » nous aimerions mieux que Bossuet n’eût pas senti la piqûre, mais, véritablement, nous ne pouvons pas nous étonner ou le reprendre, s’il l’a sentie. Dans ce siècle poli, c’était avec cette aménité de langage que l’on discutait trop souvent. En plus d’un endroit de l’Histoire des variations, on retrouvera donc l’homme sous le prêtre, et le lutteur dans le théologien, et le polémiste dans