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ces dames, les trésors des Mille et une Nuits. Il manque un quatrième et un cinquième acte : l’un au tennis, l’autre sur un mail-coach. Alors nous aurions eu le tableau complet de la mondanité contemporaine, du monde comme représentation et comme volonté. Tout de bon, le Gymnase va-t-il garder longtemps la spécialité de pareilles misères, et des gens d’esprit et de bonne humeur comme étaient les auteurs du Parfum et de Madame Mongodin continueront-ils de les lui fournir ?

Le Vaudeville nous a consolé de cette morne soirée par une soirée délirante. La Famille Pont-Biquet (j’augurais favorablement de ce nom propre) est un produit de la plus haute bouffonnerie ; non, pas de la plus haute, mais de la plus désopilante. Nous y avons pris un très gros plaisir, le fou rire étant sans doute une forme inférieure de la délectation esthétique ; mais un plaisir copieux, cette forme après tout n’étant pas complètement à dédaigner et l’occasion aujourd’hui se faisant rare, de nous divertir sans arrière-pensée, sans effort d’attention, ni scrupule de goût, sans préoccupation d’une idée obscure à comprendre aujourd’hui, à expliquer demain. Cela est superficiel et faux, cela n’a pas le sens commun, grondaient quelques spectateurs délicats ou chagrins. Assurément il ne s’agit point ici de Britannicus. La Famille Pont-Biquet appartient à cette catégorie d’œuvres favorisées, auxquelles on ouvre un crédit sans bornes ; elles ne sont tenues à presque rien : ni dans le fond, ni dans la forme ; ni au style, ni à la vérité, ni même à la vraisemblance du sujet, des caractères ou des événemens. Il leur suffit de nous égayer, s’il se peut, jusqu’à la convulsion, de nous montrer une caricature de l’humanité aux prises avec une parodie de la vie, des êtres burlesques à la merci de hasards insensés ou de combinaisons plus folles encore. Admirable privilège du rire ! Il a ses raisons, lui aussi, que, sous peine de pédantisme, la raison n’a pas à connaître.

Je ne raconterai point l’inénarrable, ni le désordre apporté dans une famille de robe, en province, par la réalité, le rêve, l’apparence et les suites de l’amour. Une fois de plus, l’auteur des Surprises du divorce a mêlé et démêlé les fils de son écheveau, non sans un peu d’embarras et de lenteur au début du premier acte et du troisième. Mais l’ensemble est d’une irrésistible démence.

Certain interrogatoire, par le juge d’instruction, d’un paysan venu à la ville pour vendre une vache et saisi comme complice d’adultère, a rappelé aux lettrés l’admirable scène de la Cagnotte : la comparution des habitans de la Ferté-sous-Jouarre devant le secrétaire du commissaire. Le sublime y jaillit du même contraste entre la résignation passive de l’homme des champs et la solennité prudhommesque de l’homme de loi. Labiche avait fait son Colladan plus enjoué, plus familier avec les pouvoirs judiciaires ; le Bouzu de M. Bisson est plus ahuri, plus renfermé