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oiseau sont toutes égales. L’écriture phonétique, au contraire, représente par ses caractères non les objets, mais les sons dont se composent les mots exprimant ces objets, et on l’appellera syllabique ou alphabétique, suivant que les caractères exprimeront des articulations complexes ou des sons simples, des syllabes ou des lettres.

Cette distinction entre les deux méthodes n’est juste qu’en théorie ; quand on considère la réalité des faits, on reconnaît que tôt ou tard, par une heureuse fatalité, presque toutes les écritures sont arrivées au syllabisme. C’est le cas des cinq grands systèmes idéographiques de l’ancien monde, le chinois, l’écriture cunéiforme de l’Assyrie, de la Médie, de la Perse, et les hiéroglyphes égyptiens. L’Égypte ne s’en tint pas là ; elle poussa plus loin l’analyse des élémens de la parole ; après avoir dégagé la syllabe, elle dégagea la lettre, et dès la vie dynastie, c’est-à-dire plus de trois mille ans avant notre ère, les habitans de la vallée du Nil possédaient vingt-deux articulations différentes et se servaient pour rendre chacune d’elles d’un ou de plusieurs signes alphabétiques. Champollion s’en douta le premier, ce fut sa gloire : « Il put ainsi jeter les bases de la grammaire égyptienne et reconnaître dans la langue des hiéroglyphes la forme la plus ancienne d’un dialecte dont la langue copte marque le dernier terme. » Il mourut à quarante-quatre ans, et ce fut alors seulement qu’après s’être moqué de lui, on rendit hommage à son génie.

Mais les Égyptiens n’employaient pas ces caractères alphabétiques à l’exclusion de tous les autres ; ils conservaient encore quelques idéogrammes et un nombre considérable de signes syllabiques, dont M. Maspero a donné la liste dans son Histoire ancienne. Aussi leur écriture fut-elle une des plus savantes, des plus parfaites, mais des plus compliquées qu’on pût imaginer. Ce furent les Phéniciens qui se chargèrent de la simplifier. Ils ne retinrent de cette immense quantité de signes que ceux qui correspondaient à des articulations simples, c’est-à-dire aux consonnes, et obtinrent ainsi vingt-deux caractères qui devaient suffire à rendre tous les sons d’une langue et toutes leurs combinaisons possibles. Quelques orientalistes ont cherché l’origine de cet alphabet, soit dans l’écriture cunéiforme, soit dans l’écriture cypriote. M. Berger a exposé et discuté leurs théories, et en fin de compte il persiste à croire comme Champollion, comme M. de Rougé, comme M. Maspero, que c’est bien aux hiéroglyphes égyptiens que les Phéniciens ont emprunté leurs vingt-deux signes, « que leur alphabet est né de l’écriture égyptienne, comme celle-ci était sortie par un développement naturel des anciennes écritures pictographiques. »

« Les Égyptiens, avait dit Tacite, se servirent les premiers de figures d’êtres animés pour exprimer les idées ; ils furent même, à ce qu’ils disent, les inventeurs des lettres. Puis les Phéniciens, qui étaient les