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de l’autre versant de cette péninsule montagneuse, sur un golfe censé dans l’Océan-Indien, l’arsenal maritime de Simon’s Town a également reçu les fortifications nécessaires.

Il ne peut être question de créer là un second Gibraltar, pour deux raisons. Gibraltar est si petit, si étroit, si escarpé, si fortifié par la nature, que les hommes depuis Tarik, le général barbaresque, jusqu’aux ingénieurs anglais de nos jours, en passant par Charles-Quint, n’eurent pas trop de peine à le rendre imprenable de vive force. Ici on devrait barrer par des forts un isthme large de vingt à vingt-cinq kilomètres, hérisser de redoutes une périphérie d’environ quatre-vingts. Deuxième obstacle, si les colons tiennent à la protection navale de l’Angleterre, ils se soucieraient médiocrement de voir leur capitale prisonnière dans un formidable camp retranché avec une nombreuse garnison. L’intérêt de la défense se heurte à celui de l’autonomie.

C’est, d’ailleurs, chose curieuse que le partage de cette œuvre entre deux gouvernemens dont les vues politiques et militaires ne s’accordent pas toujours, puisqu’on a vu les organes du ministère du Cap contester au cabinet de Londres le droit de faire passer des troupes sur le territoire colonial sans son aveu. La Grande-Bretagne n’a rien déboursé pour la construction des forts, et, en un sens, certainement, elle gagnait beaucoup à éviter de si gros frais. Mais l’administration coloniale, qui a tout payé, se tient pour propriétaire, naturellement. Cela pourrait devenir matière à conflits assez graves. L’empire a fourni les canons ; il a l’air d’avoir donné ses meubles en nantissement de sa location.

Voici maintenant la grosse question, et pourquoi, malgré tous ces travaux de défense, un journal du pays se croit obligé de raisonner sur l’hypothèse de la prise de Cape-Town. Les batteries et les casemates des deux ports, très belles, sont faites pour répondre à une attaque partie du large. Elles ne serviraient pas contre un ennemi débarqué, par le simple motif que, tournées face à la mer et abordées de dos, écrasées sous les feux des hauteurs environnantes, elles ne sauraient résister. Il se livrerait un combat dont la répétition générale eut lieu en 1889, celui de Constance pour ne pas dire de Dorking, car cette fois c’en est un authentique, quoique simulé, une opération de petite guerre. Dans une partie de la péninsule qu’aucun ouvrage ne protège, s’ouvre une baie large et profonde, parfaitement abritée, d’où partent deux routes superbes, conduisant l’une à Cape-Town, l’autre à Simon’s-Town par le col de Constance et des pentes aux vignobles fameux. Ce col fut le principal théâtre de l’action ; l’envahisseur venait de la baie et se replia, mais c’était dans le programme. Vainqueur, il entrait dans les forts.