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l’afrikandérisme. Quoi qu’il en soit, les discours tenus depuis quelques années dans les solennités militaires, banquets d’armes ou distributions de prix aux corps francs, autour de la montagne de la Table, ont propagé cette impression qu’on ne verra plus les volontaires du Cap engagés contre des sauvages ; ceci pourra regarder certaines troupes spéciales ; il faut compter sur d’autres ennemis, à peau blanche, et comme ceux-là viendront peut-être par mer, on devra tenir prête, pour les recevoir, une armée nationale. Cet avertissement s’est fait entendre plusieurs fois, un ministre de la colonie l’agrémentait volontiers de complimens à son auditoire. « Je sais, disait-il un jour, que l’étranger a les yeux sur nous, je sais qu’il nous lorgne et que tel ou tel ne détesterait pas de nous prendre ; mais je sais aussi que les nations étrangères, quand elles regardent vers le Cap, n’oublient pas qu’il y a au Cap des gens capables de défendre leur bien ! »

C’était beaucoup d’appréhension ou beaucoup de confiance. Il paraît, d’ailleurs, que des personnes imprudentes avaient autrefois contribué par leurs allures à exciter la suspicion des colons. Ainsi, on lisait dans le Zuid-Afrikaan, le journal hollandais de Cape-Town, en octobre 1890 : « Voici déjà beau temps que des officiers étrangers, très désireux de se familiariser avec notre région, allaient répétant : nous serons maîtres ici dans une couple d’années. La couple d’années est allée rejoindre les autres ; mais, vu l’état de l’Europe, si une guerre éclatait, la première menacée des possessions britanniques serait le Cap. » A qui le Zuid-Afrikaan faisait-il allusion ? Était-ce, par hasard, à des officiers de la marine allemande ? Les bâtimens de guerre russes allant à Vladivostok passent quelquefois par le cap de Bonne-Espérance et ils touchent alors à Cape-Town pour se ravitailler ou pour réparer des avaries ; mais ces visites n’ont rien d’inquiétant. Les nôtres sont bien rares ; ce n’est certainement pas d’elles qu’il s’agit. Celles des Allemands, fréquentes et prolongées, répondraient plutôt au signalement de la feuille afrikandériste. S’il se peut qu’une hâblerie quelconque de jeune aspirant ne sachant pas tenir sa langue soit revenue aux oreilles des rédacteurs de ce journal, et qu’ils y aient attaché trop d’importance, la situation, néanmoins, expliquerait leur nervosité. Entre la colonie du Cap et l’Allemagne, il n’y a même plus d’océan, il n’y a désormais que le fleuve Orange. Ce n’est certes point comme si d’ores et déjà, sur chaque rive, se déroulait une ligne de sentinelles et de bureaux de douane. Des sentinelles ! on ne les relèverait guère souvent du côté germanique, car cinquante, c’est peu pour 500