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ordinaire sur notre grande ligne de l’extrême Orient. Succès de premier ordre. Mais, en outre, aucun fil sous-marin ne met Paris en relation avec Tamatave et Tananarive, ni avec la station navale de Diego-Suarez, et c’est dommage. Pour recevoir, à la baie Saint-Augustin, ordre de se porter sur la côte anglaise et de la désoler, le commandant de notre croiseur devait donc avoir ouvert, ce jour-là, un pli cacheté qu’il gardait en poche depuis un mois au moins. Preuve que nous savons prévoir les événemens, cacher nos projets militaires et mûrir nos coups dans le silence.

Les Français, toujours avisés, mirent l’or en lieu sûr, dans la cale du Jean Bart, et le remplacèrent à bord du Moor par des canons, des obus à la mélinite, de la poudre et des balles. L’équipage du paquebot anglais fut transféré sur une goélette prise au sortir de la rade ; après quoi les deux navires firent route de conserve, battant pavillon tricolore par-dessus l’Union Jack. Le 5 avril, dans la soirée, ils se présentaient au mouillage de Port-Elizabeth, après avoir d’abord amené les couleurs françaises. Personne, à terre, ne se méfiait du Moor, visiteur bien connu. Comme de coutume, le bateau de la santé alla s’informer de celle des arrivans, mais on ne vit pas revenir cette embarcation. Confisquée, dégarnie de ses fonctionnaires, qui furent faits prisonniers, et montée par des Français, elle sillonna la baie pour signifiera tout vapeur ou voilier britannique, en usant du porte-voix, qu’on les coulerait dans vingt minutes. Les équipages pouvaient déguerpir. Attention délicate, car, bientôt après, le Jean Bart et l’ex-Moor tenaient leur parole : rien ne flottait plus sur la plaine liquide qu’eux seuls et quelques rares coquilles de noix, chargées de matelots en train de gagner le rivage à grand’force d’avirons.

Cependant la défense s’organisait. En fait de troupes, il n’existe à Port-Elizabeth qu’un corps de volontaires, — Prince Alfred’s volunteer guard, — cinq cents hommes sur le papier. Comme protection, un fortin armé de deux pièces, le fort Frédéric. D’après le correspondant du Cape-Times, on ne pouvait que se résigner. Les édiles tinrent conseil avec le major des volontaires, appelé en toute hâte de la campagne, où il réside. Quel parti prendre ? Parlementer ? agir ? Mais la ville, d’abord, serait-elle bombardée ? Un manque de réflexion faillit causer les plus graves malheurs. L’ennemi, on le connaissait maintenant. On devait se dire qu’au bout du compte la France n’était pas en guerre avec le Cap, qu’elle ne l’avait jamais rencontré sur le chemin de ses intérêts ou de ses ambitions pour lui barrer le passage, comme il fait à l’Allemagne ; qu’elle avait entendu parler de ce pays autonome, vivant de sa vie propre, étranger aux querelles de l’Europe, qu’elle ne lui en