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l’armée de défense à trente kilomètres de la capitale. La petite ville de Dorking, renommée pour ses volailles, devenait un nouvel Hastings. Ce badinage vieux de vingt ans, où de vagues inquiétudes politiques se mêlaient au souci fondé, plus fondé alors qu’aujourd’hui, d’une certaine insuffisance militaire et même navale, a tenté maints imitateurs : il reste le modèle d’un genre empruntant ses procédés à Jules Verne, confinant à l’apologue par les hautes moralités qu’il se flatte de répandre pour l’instruction des peuples, des hommes d’État et des stratégistes. Un peu partout on a régalé le public de ces essais d’histoire conjecturale : quelqu’un, en Allemagne, a narré les suites d’une descente de troupes françaises sur les littoraux de la mer du Nord et de la Baltique ; quelqu’un, chez nous, s’est amusé à dire les origines, les péripéties et les conséquences de la bataille de Peluse, gagnée par les Russes sur les Anglais en Égypte.

La veine n’en est pas épuisée, et c’est encore l’Angleterre qui nous esquissait tout récemment un tableau de la dernière guerre maritime, ou plutôt de la prochaine, par la plume d’on ne sait trop qui, car M. Nelson Seaforth porte au front le sceau du pseudonyme. L’heure de cet écrivain retarde sur celle de Portsmouth. On s’en aperçoit. Il fait battre l’amiral Gervais, en vue de Ténériffe, par les marins qui fraternisèrent si bien avec les nôtres sur la rade de Spithead. Sans reproche, un épisode curieux de la grande lutte qu’il raconte semble lui avoir totalement échappé. Si les secrétaires de M. Nelson Seaforth avaient mieux dépouillé certains journaux du Cap, cela lui aurait procuré l’occasion de faire un peu plus d’honneur à nos qualités d’initiative et de ne pas supposer qu’à part les opérations d’escadre, nous bornerions nos entreprises à un coup de main sur Aurigny, à un autre sur l’île Maurice et à un troisième sur Sierra-Leone[1]. S’il est des pages plus héroïques dans les fastes de la marine française, il n’en est guère de plus satisfaisante par la décision, la promptitude, l’habileté dont elle témoigne. Elle mérite donc de ne pas rester perdue pour notre amour-propre national, non plus que pour la gouverne de nos amis d’outre-Manche. On ne sait pas ce qui peut arriver, ni quels autres, après nous, seraient tentés de refaire la campagne qui nous a si bien réussi, peu connue d’ailleurs, pour d’excellentes raisons.


Comme en Europe, il se livre à l’extrême bout du continent africain des batailles de Dorking. Voici donc celle qu’un témoin

  1. L’ouvrage dont il s’agit a été analysé dans un article du Temps du 28 août 1891.