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un leurre et la fédération comme une duperie tant qu’un habit rouge montera la garde au pied de la montagne de la Table. Ce protectorat inquiète donc surtout les politiciens du Cap, et nous concevons, après tout, qu’ils ne s’y résignent pas, bien que l’Angleterre ait strictement le droit de leur dire : « C’est peut-être une chose fâcheuse ; mais vous avez, autant que moi, failli à l’empêcher. » Voici comment M. Cecil Rhodes, premier ministre, s’exprimait le 1er août 1890, dans une séance du parlement colonial : « Je suis sûr que la chambre pense avec l’honorable député de Caledon que c’est grand’pitié pour la colonie d’avoir perdu la côte occidentale. Je ne suis pas de l’avis de ceux qui disent qu’il y a place sur cette côte pour nous et le gouvernement allemand ; il faut tenir compte de l’intérêt énorme qu’elle aura pour nous dans l’avenir, malgré le peu de valeur intrinsèque du pays. »

On se figure aisément les ennuis que cette réclamation tardive, mais déjà ancienne pourtant, attire depuis plusieurs années au cabinet de Londres. Il y a d’abord une question ouverte, pleine de difficultés : est-ce le possesseur actuel de la baie Valfich qui aura le hinterland situé derrière, ou est-ce, au contraire, le maître de ce hinterland qui doit obtenir cession de la baie Valfich ? Quand le littoral fut pris par l’Allemagne, en 1884, le Cap voulut sauver, du moins, cette épave, que lord Beaconsfield avait réservée et marquée britannique. Par acte du parlement local et proclamation du gouverneur, elle fut déclarée possession du Cap, avec le consentement de la métropole. Elle n’appartient donc plus à l’empire, mais à la colonie. C’est une grosse différence. Après cela, jusqu’à quel point la colonie possède-t-elle en propre un territoire qui ne cesse pas d’être partie, avec elle, de l’empire ? C’est une autre affaire et une belle amusette pour les casuistes en droit public. Cette baie, quelle importance a-t-elle ? Une bien médiocre à première vue. Simple havre du littoral peu fréquenté que les anciens géographes appelaient Cimbébasie. Une langue de sable, terminée par la pointe du Pélican, abrite contre les vents du large cette rade spacieuse, pas assez profonde partout, néanmoins commode et sûre. Jadis, paraît-il, les baleines australes, et, à leur poursuite, les baleiniers, fréquentaient ce refuge en grand nombre. Les Hollandais écrivent Walvisch buai, ce qui, dans leur langue, signifie « baie des baleines ; » les Anglais Walfish bay ou Walwich bay, ce qui, dans la leur, ne veut plus rien dire. S’ils traduisaient le vieux nom, ils adopteraient celui de Whale bay. Les Allemands devraient écrire Wallfisch Bucht. C’est une station bien située pour la pêche de plusieurs sortes de poissons et le seul bon mouillage d’une longue