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Pigault-Lebrun. Pourquoi ? parce que, en 1820, on le lit à Perpignan : « Parmi nous le populaire Pigault-Lebrun est beaucoup plus romantique que l’auteur de Trilby. Qui est-ce qui lit Trilby à Brest ou à Perpignan ? » Il n’est que de s’entendre, et avec des définitions claires, soutenues d’exemples précis, on s’entend en effet ; et nous savons ce que c’est que le romantisme de Stendhal.

C’est son contraire. C’est le réalisme. C’est l’art qui se plie « aux mœurs et aux croyances » des contemporains de telle manière qu’il les reproduit, et en les reproduisant amuse le public. Par exemple le romantisme, au XVIIe siècle, c’est Boileau et Molière, c’est aussi Bourdaloue et Bossuet, c’est aussi La Bruyère et La Fontaine ; le romantisme au XVIIIe siècle, c’est Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ; en un mot le romantisme, à chaque époque, est la littérature de cette époque, et le classicisme, c’est la littérature de l’époque précédente, qui a été romantique en son temps, mais qui ne l’est plus parce qu’elle ne répond plus aux mœurs et croyances du moment actuel. Toute littérature est ainsi, tour à tour, romantique et classique, passe de l’état romantique à l’état classique avec le temps.

À une exception près, cependant. Si une littérature, en un temps de foi déclinante, s’avise d’être religieuse, si, d’autre part, elle aime à se nourrir et à faire son entretien des antiques légendes, si au XIXe siècle, par exemple, elle est entêtée de religion et de moyen âge, elle sera antiromantique par excellence. La seule littérature en France qui n’ait pas été romantique, ç’a été l’école romantique de 1820.

Le singulier malentendu qui a fait de Stendhal un défenseur apparent du romantisme de 1820 est expliqué. Il n’a pas aimé du tout cette école ; mais donnant son nom précisément à ce qu’elle n’était pas, il a défendu le nom précisément parce qu’il détestait la chose. — Reste qu’il est étrange qu’il ait été prendre ce nom pour désigner justement autre chose que ce à quoi tout le monde l’appliquait en 1820. Cela tient à ce qu’il a la vue la plus confuse du mouvement littéraire auquel il assiste. Il appelle au hasard romantique tout ce qui est littérature nouvelle, tout ce qui, en 1820, n’est pas de l’Académie française, et il va de l’avant, en mettant pèle mêle ensemble des hommes qui n’ont aucune espèce de parenté littéraire. Ainsi voilà la liste des romantiques dressée par Stendhal en 1823 : « Lamartine, Béranger, de Barante, Fiévée, Guizot, La Mennais, Victor Cousin, général Foy, Royer-Collard, Fauriel, Daunou, Paul-Louis Courier, Benjamin Constant, de Pradt, Étienne, Scribe. » C’est assez dire qu’il n’a rien compris à la question. — On le voit tout aussi bien dans la suite de son petit livre Racine et Shakspeare.