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anecdotes, un peu monotones. Je laisserai de côté ces deux dernières rubriques, les anecdotes du livre de l’Amour étant souvent intéressantes, mais toujours un peu extraordinaires, un peu excentriques, et pour cette cause, servant plutôt d’illustrations amusantes pour le volume que de preuves à l’appui et de documens ; les observations sur la façon d’aimer des différens peuples n’ajoutant rien à une matière que je viens d’examiner. — Stendhal connaît et distingue quatre sortes d’amour : l’amour physique, l’amour passion, l’amour goût, l’amour de vanité. Je ne reprocherais pas à cette énumération d’être incomplète, toute énumération de ce genre étant incomplète, si Stendhal ne mettait une certaine prétention à avoir absolument épuisé le sujet : Il y a quatre amours différens, dit-il à la première ligne. Il y en a certainement un peu plus ; il y en a qui ne rentrent point dans l’une de ces quatre divisions. Il y a l’amour amitié, par exemple, qui n’est ni l’amour passion, ni l’amour goût, étant beaucoup moins violent que l’un, et beaucoup plus profond que l’autre, l’amour amitié, le fait d’aimer une personne parce qu’elle est bonne et douce, d’un commerce agréable et sûr, sorte d’amour confiance très fréquent chez les Français, qui est d’une si grande solidité et d’une si longue suite qu’il méritait une mention, sinon une étude. — Il y a l’amour habitude, inférieur au précédent et plus vulgaire, un amour qui n’a pas commencé par l’amour, qui a commencé par un entraînement des sens, mais qui est devenu peu à peu un attachement très fort et très tendre, sorte de reconnaissance de la chair, lien, souvent, d’une force étrange, extrêmement intéressant à analyser, assez fréquent pour qu’on en tienne compte, et qu’il ne faut pas confondre avec l’amour physique dont le caractère, inversement, est de se ruiner par la possession. — Il y a l’amour de tête, celui qui commence par l’imagination, s’entretient et se nourrit par l’imagination, et s’éteint d’ordinaire dans les réalités de l’amour, ce qui fait qu’il est, si l’on me passe l’étrangeté du terme, une sorte d’amour physique intellectuel. Il est assez étrange que Stendhal ait oublié l’amour de tête dans son livre de l’Amour, lui qui, dans le Rouge et le Noir, a précisément fait une étude assez pénétrante de l’amour de tête sous le nom de Mlle  de La Môle. — On pourrait facilement trouver quelques autres manières d’aimer que Stendhal a omises et qui méritaient d’entrer dans une classification générale à meilleur titre que l’amour vanité, qui, en vérité, n’est pas du tout un amour. Il importe peu ; mais ce que je voulais montrer, c’est Stendhal ne décrivant dans le livre de l’Amour que les amours qu’il était capable de ressentir, et, en dehors de la sensualité, de la passion violente et tragique, de la galanterie mondaine et de la vanité, ne ressentant rien. Un livre sur l’amour est toujours une