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nations exubérantes, et il sera difficile de vivre longtemps avec elles sans conventions commerciales. Heureusement les procédés hautains des États-Unis, leurs airs de grand frère, ayant des droits de primogéniture et se targuant d’une supériorité de richesse, excitent aussi des jalousies, des susceptibilités, peut-être des appréhensions dans l’Amérique centrale et l’Amérique méridionale. Le récent traité de commerce avec les États-Unis n’a pas été sans susciter une vive opposition au Brésil ; d’autre part, le Chili doit se montrer peu enclin à concéder des avantages permanens quelconques au gouvernement de la Maison-Blanche. L’Europe, avec de l’habileté et de la souplesse, pourrait entretenir ces différends. Un traité de commerce entre la France et la République Argentine, par lequel nous diminuerions de moitié le droit sur le maïs, si même, ce qui serait préférable, nous ne le supprimions, et avec le Brésil, pour la réduction de 10 ou 15 pour 100 du droit sur le café, pourrait un jour ou l’autre devenir une nécessité.

Ce n’est pas seulement la fédération américaine du nord qui, depuis quelques années, méditait la constitution d’énormes groupemens commerciaux reposant sur des tarifs de faveur. La même idée a germé en Europe depuis longtemps. On peut rappeler, entre autres, le projet de M. de Molinari pour la constitution d’un Zollverein continental européen ; ce projet date d’une douzaine d’années au moins. Nous-mêmes en avions en 1876 proposé un plus étroit, comprenant encore autour de la France une demi-douzaine de nations[1]. Avec des variantes, des atténuations, des réductions, ces plans n’ont pas cessé d’occuper les publicistes et aussi ceux des hommes d’État dont l’esprit a assez d’ampleur pour n’être pas absorbé par les minuties insignifiantes de la politique journalière.

C’était un système douanier européen ou du moins occidental européen qu’il s’agissait de constituer en face des systèmes des trois plus grands peuples civilisés. Un publiciste, député au Reichsrath d’Autriche, M. Alexandre Peez, décrivait ainsi, au commencement de l’année 1891, les zones et les populations dont disposaient ou se préparaient à disposer les trois nations civilisées géantes. La Grande-Bretagne avec ses colonies comprend 23 millions de kilomètres carrés ou les 17 pour 100 de toute la superficie terrestre ; sa population de 313 millions d’habitans représente les 21 pour 100 de la population de la terre. L’empire russe s’étend sur 21 millions de kilomètres carrés, soit 16 pour 100 de la superficie du globe, et ses 105 millions d’habitans (nous

  1. Voir la 1re édition de notre Traité de la science des finances.