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Ce que l’appareil compliqué de ces cultures représente d’efforts accumulés, on se l’imagine aisément, pour peu que l’on ait visité, même en une course rapide, les côtes de la Dalmatie et de l’Istrie ou celles de la Ligurie et de la Provence ; mais ce qu’il exige d’entretien et comme il périrait vite s’il n’était constamment recréé par la génération qui l’a reçu en héritage de sa devancière, on ne le comprend que pour avoir séjourné quelque temps dans le pays, pour en avoir vu les habitans à l’œuvre, dans un moment de crise et de danger. Lorsque je reçus à Vitylo l’hospitalité des Mavromichali, les descendans des anciens beys du Magne, les grandes pluies de printemps venaient de prendre fin, et, cette année-là, elles avaient été particulièrement fortes et dévastatrices. Sous le ruissellement torrentiel des eaux, plus d’un mur avait cédé, entraînant dans sa chute les terres qu’il supportait. Celles qui avaient été emportées jusque dans la mer étaient perdues sans retour ; mais, ailleurs, elles avaient été retenues par un rebord du rocher, par un barrage qu’avait formé, au fond d’un ravin, un amoncellement de gros blocs et de pierraille. Au moment de mon arrivée, tous les bras étaient occupés ; les hommes travaillaient à relever les talus ; les femmes et les enfans chargeaient la terre dans des hottes, et lentement, à contre-mont, sous un soleil déjà brûlant, ils la reportaient au champ d’où elle avait été enlevée. Il n’y a, sur toutes ces terrasses, pas une pelletée de terre végétale qui n’ait bien des fois fait ce voyage, au cours des siècles, qui n’ait ainsi descendu et remonté ces pentes. En sus de cette réfection générale, qui est de rigueur, tous les ans, après les ravages de l’hiver, on a, même dans la belle saison, au lendemain de chaque orage, des dégâts à réparer. Souvent, c’est sous l’averse même que l’on fraie un lit aux bonds des cascades, que l’on cherche à sauver, par des défenses construites à la hâte, les fonds menacés. On devine ce qu’il faut au cultivateur de volonté, de coup d’œil rapide et de fermeté calme pour saisir, dans ce péril soudain, le moment d’agir, pour ne jamais se lasser de cette lutte qu’il a entrepris de soutenir contre la pauvreté du sol, contre les violences et les surprises de la nature. La bataille qu’il livre n’est jamais gagnée ; il est vainqueur dans chaque rencontre ; mais c’est à la condition de toujours veiller sous les armes ; un moment de défaillance et d’oubli remettrait en question les résultats acquis.

Dans les bassins fermés de la Béotie, de l’Arcadie et de la Crète, le combat prend une autre forme ; mais l’ennemi, c’est toujours l’eau, l’eau que la terre altérée appelle en vain pendant de longs mois, puis qui surabonde ensuite et devient un danger. Les plaines sont de médiocre étendue ; une ceinture de montagne les enserre