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jusqu’à quel haut degré de puissance et de richesse se sont élevées nombre des cités qu’elle comprenait, Posidonie et Cumes, Sybaris, Crotone, Métaponte et Tarente, Adria même et la lointaine Massalie ; les monumens de l’architecture et de la sculpture qui subsistent sur l’emplacement de plusieurs de ces colonies ou que l’on retire des ruines de leurs temples et de leurs tombeaux ne sont pas moins beaux que ceux qui sont nés sur le sol de la mère patrie. Enfin, entre ces différentes Grèces, qui forment, sur la terre ferme, quatre groupes bien définis, dont chacun a eu son existence distincte et ses fortunes séparées, il y a toute une Grèce qui flotte en quelque sorte sur « le large dos de la mer, » la Grèce insulaire. C’est la Sicile, entre l’Italie et l’Afrique, la Sicile où l’élément grec et l’élément phénicien, tout en se faisant de mutuels emprunts, ont été en lutte pendant plus de trois siècles ; ce sont les îles de l’Adriatique, entre l’Italie et l’Hellade, puis, au sud et à l’est de celle-ci, sur le chemin de l’Égypte et sur celui de l’Asie-Mineure, Cythère et la Crète, les Cyclades et les Sporades, Rhodes et Cypre, Samos, Chios et Lesbos, les îles voisines de la Thrace, bien d’autres encore, grandes et petites, toutes ces terres capricieusement semées sur les eaux, que l’on a comparées, par une vive image, aux pierres que des enfans jettent au milieu d’un gué pour sauter d’une rive à l’autre sans se mouiller les pieds. Les hommes et les marchandises, les matières premières et les objets ouvrés, les simulacres divins avec les idées et les sentimens qu’ils représentent, les procédés de l’industrie et les types de la plastique trouvèrent là, dans tous ces lieux de relâche et de repos, des facilités merveilleuses de circulation et de transport ; ce fut surtout dans cet archipel ou plutôt dans ces archipels hospitaliers que se produisirent les rencontres heureuses et les contacts féconds, d’abord entre Grecs et étrangers, puis entre Grecs de tribus différentes.

La race qui se fit ainsi cette situation privilégiée sur les confins de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie se trouve être une des mieux douées, la mieux douée, peut-être, qui ait participé à l’œuvre commune et successive de la civilisation. Les circonstances et le milieu où elle était jetée favorisèrent sa croissance ; d’ailleurs, pour expliquer le parti qu’elle a tiré de ces avantages, il faut toujours en revenir à ces dons de nature, à ces prédispositions cachées dont l’histoire constate les effets, mais dont elle est impuissante à rendre pleinement raison. Les Grecs eurent, au plus haut degré, le génie de l’invention, dans les lettres comme dans les arts. D’autres grands peuples, comme les Égyptiens et les Chaldéens, après un brillant essor, se sont arrêtés sur place ; à partir d’une certaine heure, ils se sont bornés à répéter les types qu’ils avaient créés pendant la première période de leur existence ; quant aux Phéniciens, ils se