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vent renouvelées, sans se croire obligée jusqu’ici de les réaliser, c’est bien évident. Lord Salisbury, dans un discours qu’il a prononcé il y a quelques semaines, avant la mort du dernier khédive, n’a pas caché que l’heure de se retirer des bords du Nil ne lui semblait pas venue, que l’Égypte avait besoin de la protection anglaise. Ses amis, les journaux, ne cessent de mettre la plus singulière âpreté à soutenir la nécessité de rester au Caire, de garder la route des Indes. Ce n’est cependant pas facile de pousser à bout cette politique d’occupation et de protectorat indéfinis en présence de l’opposition qui se manifeste parfois même en Angleterre. La meilleure preuve que les journaux conservateurs ressentent quelque embarras, c’est le soin qu’ils mettent depuis quelques jours à expliquer de nouveau la nécessité de prolonger l’occupation, surtout pour protéger les débuts d’un nouveau règne, à raisonner avec la France. Ils n’ont pas seulement à persuader la France, ils ont à persuader toutes les puissances, à commencer par le sultan. Que prouve tout ceci ? C’est qu’il suffit d’un incident pour montrer que l’occupation anglaise n’est pas une solution, que rien n’est fini sur les bords du Nil, que, tant que la question subsistera, elle restera un grief pour la diplomatie européenne, un sujet d’ombrage entre la France et l’Angleterre, qui auraient si aisément tant d’intérêts communs dans le monde.

S’il y a pour l’Europe, même par ces jours de paix, des causes d’embarras et d’inquiétude, elles sont le plus souvent dans ces pays de l’Orient, non-seulement en Égypte, mais dans ces jeunes États des Balkans, qui ont tant de peine à se fixer. Après cela les difficultés ne sont pas sans doute les mêmes ou ne sont pas du même ordre partout. Où en est aujourd’hui ce médiocre incident qui a décidé la France à rompre avec le plus irrégulier de ces États, la Bulgarie, à rappeler son agent de Sofia ? Il ne s’agit pas du tout, pour une puissance comme la France, d’abuser de la force, comme l’ont dit quelques journaux anglais ; il s’agit tout simplement, sans rien exagérer, en restant dans la vérité, que M. le ministre des affaires étrangères a nettement précisée l’autre jour, de faire sentir à de petits dictateurs comme M. Stamboulof, qu’ils ne peuvent pas tout se permettre, même en se croyant protégés par les grandes alliances. Dès que la France prenait le parti de ne pas subir l’expulsion d’un de ses nationaux, elle n’avait plus rien à faire à Sofia ; elle n’avait qu’à invoquer les traités et les capitulations, à s’adresser à la Porte, suzeraine de la Bulgarie comme de l’Égypte. La Porte n’est peut-être pas très pressée d’exercer sa suzeraineté, de se jeter dans ces affaires balkaniques où elle craint de tomber au milieu des conflits d’influences. Elle temporise, c’est possible. Notre gouvernement n’est pas apparemment bien impatient d’une victoire sur M. Stamboulof. Quant à la Bulgarie, elle n’aura trouvé en tout ceci d’autre profit que d’être rejetée plus visiblement dans cette