Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470
REVUE DES DEUX MONDES.


financière du pays. Le budget n’est pour ainsi dire qu’un cadre où elle déploie son omnipotence, et les finances ne sont pour elle qu’un prétexte, une occasion de donner libre carrière à ses impatiences de pré-tendues réformes. En réalité, elle touche à tout, à l’organisation de l’armée et de la marine, au droit public, au concordat, à la constitu-tion des tribunaux, à des services permanens, à des lois organiques qui sembleraient ne devoir être modifiées que par des lois nouvelles délibérées avec maturité. Un crédit de plus ou de moins, c’est bientôt fait ! Cette question même de la réforme des frais de justice qui a été soulevée récemment, qu’on a fait entrer de vive force dans la loi des finances et qui paraît avoir d’abord arrêté le sénat, cette question peut avoir certes son importance ; mais ce n’est pas une affaire de budget. Avec ce système, on ferait entrer tout dans le budget, on pourrait, à propos de finances, remettre périodiquement en doute l’organisation publique tout entière. Et c’est ainsi que ces derniers inci-dens parlementaires, assez insignifians en apparence, remettent en lumière un mal plus profond, cette habitude invétérée d’usurpation qui est dans la chambre et qui est sûrement un danger pour le régime.

Chose curieuse qui peint la situation telle qu’elle est devenue ! C’est la chambre qui va à l’aventure, confondant tous les droits, qui crée les difficultés par ses usurpations, et lorsque quelques-unes de ces œuvres d’omnipotence et d’imprévoyance parlementaire vont échouer au Luxembourg, c’est le sénat qui est le coupable, le grand suspect ! Quand ils n’ont rien de mieux à faire ou à dire, les radicaux découvrent une fois de plus que le sénat est le trouble-fête de la république. Ce malheureux sénat n’a pas de chances. Vainement il a multiplié les actes de soumission et de résignation ; vainement il a contribué plus que tout autre, il y a deux ans, à sauver la France et la république elle-même d’une catastrophe qui semblait infaillible si M. Floquet, alors ministre de l’intérieur et président du conseil, était resté trois mois de plus au pouvoir : on ne se souvient plus guère des services qu’il a rendus ; il redevient l’ennemi, l’assemblée des impuissans, le u rouage inutile ! » Qu’a-t-il donc fait pour mériter ses disgrâces ? Il ne laisse pas toujours passer, il est vrai, les propositions décousues, les projets hasardeux qui pullulent au Palais-Bourbon et qui ont la prétention d’être des réformes sociales. Il voudrait aussi quelquefois savoir ce qu’il va voter ; il a demandé dernièrement, non pas des semaines, tout au plus quelques jours, quelques heures pour réfléchir, pour revoir un budget que la chambre a mis huit mois à préparer, à expédier, et qui ne reste pas moins une œuvre assez incohérente. C’est ce qu’on appelle plaisamment faire de l’obstruction ! Le sénat, dit-on, résiste au suffrage universel, au pouvoir souverain qui est au Palais-Bourbon ! Est-ce possible ? En vérité, que ne résiste-t-il plus souvent et plus fer-