Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est ce qui ressort de la publication nouvelle de M. Edouard Frémy sur Lamartine diplomate. En 1830, il convoite ardemment la légation d’Athènes, il va enfin l’obtenir : la révolution éclate, le serviteur des Bourbons donne sa démission ; mais M. Frémy ne nous fait pas grâce d’une lettre assez ambiguë, adressée par le démissionnaire à M. Molé ; il insiste sur son désir de prêter le serment ; on pourrait croire qu’il se ménage une porte de rentrée.

J’ai rapporté quelques pièces du procès fait à la jeunesse, sans rien dissimuler. Le procès de la politique est plus connu. Il y a chose jugée, personne ne s’étant soucié de réviser la cause, malgré la plaidoirie amicale de Louis de Ronchaud. C’est un lieu-commun de dire que le poète fut imprudent et coupable, en usurpant un rôle réservé alors aux avocats, réclamé depuis par les ingénieurs ; qu’il n’entendait rien à ces matières, et que, ridicule d’abord, dangereux ensuite, il devint le principal auteur de nos malheurs publics. L’opinion est si prévenue de ce côté, que mon admiration pour l’enchanteur commença de branler par là ; les lectures que je viens de résumer achevèrent de la troubler.

Et me voici bien avancé. Je connais maintenant l’autre figure de Lamartine. Par curiosité inutile, pour la vanité de paraître informé dans les études professionnelles, — car il n’y a que cela tout au fond de notre soif de critique, la connaissance intime de ce poète n’important point aux fins du salut, — j’ai failli perdre la douce tranquillité d’un beau culte. On raconte que Victor Hugo, lorsqu’on lui présenta les implacables réquisitoires de M. Biré, gémit doucement : « Cet homme est bien méchant. » j’ai envie de dire la même chose des biographes et des critiques qui ont désolé ma religion : ils sont bien méchans. — Mais, diront-ils, on ne doit jamais hésiter à sacrifier la plus belle illusion pour acquérir une vérité. — j’en tombe d’accord ; seulement, est-ce bien une vérité que j’ai acquise ? c’est le point qu’il nous reste à éclaircir.


III.

Lamartine a jeté dans le raccourci d’une image ce mot d’une philosophie profonde : « l’idéal n’est que de la vérité à distance. » C’est justice qu’il en bénéficie tout le premier. Sainte-Beuve, avant de poignarder avec tant d’autres victimes celui qu’il était si heureux d’entendre nommer « un grand dadais, » le Sainte-Beuve de la bonne époque, chez qui l’esprit de finesse s’échauffait encore d’un rayon de sympathie, a parfaitement indiqué comment l’on doit regarder notre poète. Comme pour les tableaux, il y a pour chaque homme un point, le seul d’où l’observateur puisse saisir la vraie valeur de l’ensemble. — « Lamartine est de tous les poètes célèbres celui qui