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secrètes des émissaires d’Orange. Ils auraient voulu être à la fois patriotes et tranquilles. N’est-ce pas le spectacle qu’en tout temps et en tout pays a offert, au grand détriment de la paix publique, une bourgeoisie frondeuse ? « Ils chantent, disait Mazarin, ils paieront. » Il eût été plus vrai, peut-être, de dire : « Ils chantent : prenons garde ! » Le peuple, à lui seul, ne fait pas de révolutions ; il n’est propre qu’à faire des émeutes. Toutes les chutes de gouvernement sont venues des chambres de rhétorique : n’est-il pas juste que les chanteurs aient leur part dans les calamités qu’ils provoquent ?

Le prince Guillaume faisait quêter de tous côtés pour la cause de Dieu. Pierre Adrien van der Werf a un nom célèbre dans l’histoire des Pays-Bas. De concert avec le ministre protestant Jurriaan Epeszoon, il récoltait d’abondantes aumônes. Son éloquence entraînante savait arracher aux plus hésitans et aux plus timides des libéralités qu’il fallait quelquefois payer de sa tête. La situation présentait donc cette anomalie singulière d’esprits favorables au fond à la cause de la réforme, assez irrités cependant contre les gueux de mer pour se prêter, sans trop de mauvais vouloir, à des exigences qui auraient du moins pour effet d’éloigner des côtes néerlandaises ces défenseurs irréguliers de la patrie. Les réquisitions des agens du fisc rencontrèrent ainsi moins de résistance qu’on n’eût pu le craindre, et Robles se trouva bientôt en mesure d’augmenter dans une proportion notable ses armemens.

Le plus grand secours lui vint d’Amsterdam. Cette ville marchande, tout occupée de ses opérations commerciales, n’avait pas encore pris parti pour la révolte. Elle ne communiquait avec l’océan germanique que par le Zuyderzée : il était naturel qu’elle s’indignât de voir les passes de cette mer intérieure constamment assiégées par les vaisseaux des gueux. Semblable blocus devait la conduire à une ruine totale, s’il n’avait même bientôt pour résultat de l’affamer. Puisque le gouvernement de la régence demeurait impuissant, la noble cité se défendrait elle-même. Ses magistrats réclamèrent et obtinrent à cet effet, sans trop de peine, le concours des autres villes de la Hollande. Douze vaisseaux d’Amsterdam se portèrent, sous les ordres de Boshuizen, à l’embouchure de l’Ems ; d’autres vaisseaux, équipés à Hoorn et à Enkhuysen, furent placés sous le commandement du bourgmestre de Hoorn, Jan Simonsz Roi. Gouda, Delft, Dordrecht, promirent de leur côté d’entretenir sur les fleuves des barques armées de canons et de soldats, pour y garantir la sûreté des transports. Albe eût voulu donner quelque consistance à ces flottes détachées, les ranger toutes sous l’autorité d’un même amiral. Il songea même un instant à conférer cette importante fonction à un prince allemand, au