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enseignemens du saint-siège, ou, — ce qui revient au même, en réalité, — que les catholiques, que les protestans, que les orthodoxes s’imprègnent également de l’esprit de l’Évangile ; et, sans qu’il soit besoin de réunir les diplomates autour d’un tapis vert, sous la présidence d’un chancelier, les questions ouvrières, étudiées, partout, dans le même sentiment, humain et chrétien, recevront la seule solution internationale compatible avec la variété des situations et des circonstances, avec la diversité des lieux et des temps, avec l’inégalité des hommes et des races, la seule qui se puisse concilier avec les intérêts des peuples et l’indépendance des États. Ici encore, le problème est, avant tout, moral, et c’est par une influence morale qu’il doit être résolu.


Nous sommes ainsi ramenés, en toutes choses, à la même conclusion : rien de vraiment efficace, rien de solide et de durable, pour nos sociétés démocratiques, en dehors de l’Évangile, en dehors de l’esprit chrétien et de la fraternité chrétienne. Le progrès social, la paix sociale, l’État est impuissant à nous les assurer ; si grandes qu’elles soient, cela dépasse ses forces. Législation nationale, ou législation internationale, la loi et la contrainte légale risquent trop souvent d’envenimer les plaies qu’elles prétendent fermer. A nos démocraties industrielles, il faut autre chose que des réglemens sur le travail, des textes législatifs, ou des arrêtés de police sur l’usine et l’atelier. Quand apprendrons-nous à nous défaire de nos superstitions modernes ? La loi est comme les signes cabalistiques du sorcier, ou les magiques formules du chaman : elle n’a point en elle de vertu curative. La loi, par elle-même, est chose morte, et il n’y a pas de salut en elle. Les lois ne valent que par le principe qui les inspire, ou par l’esprit qui les applique. Toute la science ou l’habileté des législateurs ne sauraient communiquer aux sociétés ce qui ne se donne pas par décret, un principe vivant qui agisse sur les âmes ; — Car, quelque abus qu’on fasse de ce mot, il nous faut bien le dire, la question sociale reste, avant tout, une question d’âmes. Or, l’État et la loi n’ont rien pour les âmes. Cette vérité nous apparaîtra plus manifeste encore, prochainement, quand nous examinerons le remède préféré des réformateurs catholiques et du pape Léon XIII, les associations professionnelles, les corporations, les syndicats. Là, nous verrons clairement que ce qui importe aux sociétés et à la paix sociale, c’est bien moins les formes matérielles, les dispositions légales et les règlemens d’administration que l’homme lui-même, et l’âme de l’homme.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.