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tradition chrétienne qui, sur ce point, a toujours été contraire aux traditions de l’antiquité païenne. « La famille, nous enseigne Léon XIII, à la suite des docteurs, la société domestique a beau être très petite, c’est une vraie société, — perparva îlla quidem, sed vera societas, — elle est antérieure à toute société civile, — eademque omni civitate antiquior ; — c’est pourquoi, il faut, de toute nécessité, lui attribuer des droits et des devoirs absolument indépendans de l’État, quæ minime pendeant a republica. » Et cela ne suffit point à Léon XIII. « Tout comme la société civile, se plaît-il à répéter, un peu plus loin, la famille est une société proprement dite (veri nominis societas), qui a son autorité et son gouvernement propres, l’autorité et le gouvernement paternels ; et c’est pourquoi la famille, dans les limites que détermine sa fin immédiate, pour le choix et l’usage de tout ce qu’exigent sa conservation et sa juste indépendance, la famille a des droits au moins égaux à ceux de la société civile ; paria saltem cum societate civili jura btinet. — Des droits au moins égaux, insiste le souverain pontife, car la société domestique a sur la société civile une priorité logique et une priorité réelle auxquelles participent nécessairement ses droits et ses devoirs. »

Que voilà de hautes et fortes paroles ! et comme nous aimerions à les voir inscrire en lettres d’or sur la porte de nos écoles et sur les murs de nos hôtels de ville ! Au christianisme revient, en-grande partie, la gloire d’avoir affranchi la famille, et, après vingt siècles, il en demeure encore le rempart le plus ferme. C’est pour cela, et non par genre ou par bigoterie, que tant de pères de famille font cause commune avec l’Église, dans sa lutte contre l’État pour la liberté de l’enseignement. Ne pouvant tenir isolés, en rase campagne, contre les envahissemens de la puissance publique, ils sont heureux de s’abriter, eux et leurs enfans, derrière la vieille Église, et ils se font un devoir d’étayer la seule muraille qui les puisse défendre. — Qu’il s’agisse de l’école ou de l’atelier, de l’instruction ou de l’apprentissage, le pape s’élève, avec véhémence, contre toute autorité qui ose attenter sur le sanctuaire de la famille, contre ceux, notamment, « qui, à la providence paternelle prétendent, comme les socialistes, substituer la providence de l’État. » Ce n’est pas lui qui voudrait assujettir le travail de la maison et les ateliers de famille à la réglementation bureaucratique. Le pape ne concède à l’État, vis-à-vis du foyer domestique, qu’un rôle, celui de faire rendre à chacun son droit, là où les droits mutuels des membres de la famille seraient violés gravement, u A cela, dit-il, doit se borner l’action de ceux qui président à la chose publique ; la nature leur interdit de dépasser ces limites : hos excedere fines natura non patitur. »