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encore après des années. S’il avait pardonné à Thérèse, il gardait vis-à-vis des autres une amertume boudeuse que rien ne pourrait fléchir. À cette sollicitude inexplicable et de plus en plus pressante, il répliqua :

— Les Lacousthène ne sont-ils pas de braves gens ? Que puis-je désirer de plus ? Ils n’ont pas fait de brillantes affaires, le grand malheur ! mais encore une fois, je ne suis pas riche, moi. Je les aiderai de tout mon cœur et de mes deux bras, en paysan que je suis.

Génulphe, dont l’humeur s’aigrissait, ricana.

— Mazette ! il faut qu’elle ait bien su le prendre, la petite. Quelques jérémiades, puis de la résignation et des yeux qui jouent la comédie, se lèvent, s’abaissent, rient et pleurent comme des paillasses !..

Julien, piqué, riposta :

— Mlle Jeanne a toujours été pour moi naturelle et simple, et c’est pour cela surtout que je l’apprécie. Jolie non, mais une bonne fille, que je crois aimante, avec cela, bien élevée, raisonnable... enfin, toutes les convenances personnelles, comme vous dites.

— Eh bien ! mon cher, n’en parlons plus, épouse-la... Dommage seulement que tu ne m’aies pas consulté, je t’aurais dit : ne t’emballe pas, tu peux mieux faire, j’ai justement pour toi un parti sous la main... un parti autrement sérieux...

Thérèse, visiblement agacée, allait et venait par la pièce, desservait par contenance, avec des gestes brusques. Alors Julien jeta sa cigarette, et se levant de table à son tour, répondit d’un ton sec :

— Je vous remercie de vos bonnes intentions, mais la chose est maintenant impossible, Mlle Jeanne me plaît, et ma résolution est prise.


LIV.

Julien mettait à présent une sorte d’ostentation à aller à Mazerat plusieurs fois la semaine.

On était en juin, et après le repas du soir, il partait dans la nuit tiède, chargée de senteurs, de joyeux refrains sur les lèvres, comme un galant qui va à l’amour.

Il marchait d’un bon pas, prenant à travers champs le chemin qu’un soir avait suivi Alice, écrasait à coups de talon les mottes de terre, frappait de son bâton les prunelliers et les ronces dans sa gesticulade expansive d’amoureux ; puis, arrivé chez les Lacousthène, il se calmait tout d’un coup, semblait plutôt embarrassé de