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rouge d’un uniforme de la ligne qui se détachait en vigueur sur la blancheur nette de la route.

Il disparut un moment derrière les bâtimens groupés de trois fermes, puis émergea plus proche avec comme un scintillement d’or sur la matité de l’étoffe.

Chacun donnait son avis :

— Le Prosper ? Allons donc ! il a plutôt le biais de Vidalou de Combe-Rantés.

— Pas davantage ! c’est Verduret de la Soline qui vient d’être nommé sergent.

Le soldat avançait, un bâton à la main, avec lenteur, comme s’il eût éprouvé quelque difficulté à marcher. A deux cents pas des gens du Vignal, il s’arrêta, leva son képi à bout de bras en signe de bienvenue ; alors tout le monde à la fois le reconnut, ce ne fut qu’un cri :

— Julien !

On se précipitait maintenant à sa rencontre avec une sympathique curiosité ; Dupourquet le joignit le premier, l’étreignit longuement très ému, plaçant une question entre chaque accolade :

— Comment, toi ! mais par quel miracle ? tu n’as pas fini cependant ! pourquoi n’as-tu pas écrit ?..

Le jeune gars se débattait comme quelqu’un qu’on étouffe, et la joie lui mettait les larmes aux yeux, il balbutia, la voix faible :

— J’ai voulu vous faire la surprise,.. puis, jusqu’au dernier moment on ne savait pas,.. J’ai bien failli ne pas revenir !..

Dupourquet s’écarta un peu pour le regarder :

— En effet, je te trouve changé, mon garçon, très maigri,.. tu as donc été malade là-bas ?..

— Oui, blessé, une balle dans la poitrine ; je suis resté trois mois à l’hôpital, on croyait que j’étais perdu...

Les paysans l’entouraient, gauches dans leur empressement. C’était à qui lui serrerait la main, lui demanderait de ses nouvelles ; mais ils ne le tutoyaient plus comme dans le temps, subissaient dès l’abord le prestige du double galon d’or qui rayait sa manche, et de cette médaille du Tonkin, à ruban jaune et vert, qu’il rapportait de si loin, et semblait marquer là, près de son cœur, la place glorieuse de sa blessure.

Et lui répondait à chacun un mot aimable, s’informait à son tour ; sa figure tannée et si maigre s’illuminait du bonheur de les retrouver tous et de les reconnaître, de revoir le pays aussi, d’en aspirer, avec la bonne odeur de terre remuée pour les semences, le grand air vivifiant qui mettait comme la chaleur d’un bon coup de vin dans sa poitrine malade.

Il embrassa à plusieurs reprises le Terrible, arrivé le dernier en