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aux foires dans un méchant tape-cul sauvé jadis de la proscription, voiturait sans crainte d’une désapprobation ou d’une critique, tous ceux qui pouvaient tenir à ses côtés, une grappe humaine qui se tassait grouillante depuis le marchepied jusque sur les coussins, cassait les ressorts, éreintait la grise, mais chantait ses louanges à lui avec une familiarité qui le chatouillait agréablement, lui était une récompense.

L’enfant faisait seul exception à cet unanime retour vers une condition plus humble. Par une orgueilleuse faiblesse on continuait à l’élever en héritier d’un nom et d’un titre qui le placeraient toujours bien au-dessus de la famille, donneraient aux Dupourquet l’illusion flatteuse d’un noble issu de leur lignée bourgeoise.

On l’habillait d’élégans costumes de matelot ou de moujik, toujours choisis sur les catalogues du Louvre d’Agen ; et il avait l’air malheureux d’un petit prince sans camarades et sans jouets, s’essayant déjà au métier de roi.

Maximi, qui était son garde du corps ordinaire, le suivait à distance, les mains aux poches, et respectait la consigne formelle de ne jamais le tutoyer ni lui parler patois. Parfois alors, il s’embrouillait dans un français bizarre à intonations zézayantes, avait des formules invariables d’une haute fantaisie.

Ainsi quand l’enfant manifestait de façon bruyante le besoin de se moucher, il s’approchait de lui, prenait à la poche du veston le mouchoir de fine batiste qu’il lui présentait entr’ouvert dans ses pattes, et d’une voix engageante :

— Allons ! monsieur Henri, « faites péter le nez ! » suppliait-il. Et lorsqu’ils rencontraient le Terrible, dont le gamin avait horreur, parce qu’il était laid, vieux et sale, Maximi ne manquait jamais de tenter un rapprochement, de donner à son jeune maître une leçon de bienséance :

— Monsieur Henri, coutez-moi, coutez-moi donc ! fait’ ami[1] à pépé, pécaïre ! fait’ ami !..


XLVII.

C’était en novembre ; on semait le blé au Vignal.

Les cinq paires de bœufs allaient et venaient l’une derrière l’autre à un sillon de distance, traînant la charrue qui s’enfonçait jusqu’au timon dans la terre, et pour donner plus de mordant au soc, les bouviers pesaient dessus de tout leur poids, se faisaient traîner assis à califourchon sur la poignée.

  1. Présentez la main.