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chez nous. L’adultère est une contravention à certain article du code ; il est la violation d’un contrat signé par-devant maître un tel et « son collègue » que personne n’a jamais vu. Quant à la faute morale, avant de l’apprécier, nous faisons plusieurs questions. Le mari a-t-il, par sa négligence ou par toute autre raison, attiré le malheur sur sa tête ? Les deux complices n’ont-ils eu que cette seule défaillance ? Se sont-ils uniquement et exclusivement aimés ? Ont-ils, l’un pour l’autre, tout bravé, tout souffert ? Si ces conditions sont réunies, — comme c’est ici le cas, — notre verdict est tempéré de tant d’admiration et de sympathie que la condamnation équivaut à une apothéose.

La moralité sans nuances de l’Anglais ne reconnaît pas de variétés dans l’adultère. Elle commence par en gêner l’accomplissement en mettant sur le passage des coupables mille curiosités d’espions volontaires, des yeux toujours avides, des oreilles toujours ouvertes. En France, l’amant d’une femme mariée n’a qu’un seul adversaire, le mari ; en Angleterre, il a contre lui un peuple de policemen, de cochers, de garçons d’hôtel, de logeurs et de logeuses, de femmes de chambre et d’employés de chemin de fer. On dirait que toute la société a un intérêt vital à le faire prendre. De là, pour celui qui goûte ce bonheur sans cesse menacé, d’énervantes et corrosives émotions, la nécessité de beaucoup dépenser et de beaucoup mentir, une foule d’actes misérables qui entraînent une sorte de déchéance morale. Enfin, il est vaincu, le scandale éclate. Les coupables ne sont pas punis de mort comme ils l’eussent été chez les sauvages Saxons, leurs ancêtres, dans les forêts de. la Germanie. Mais ils sont frappés d’un ostracisme social qui ne manque pas de noblesse et même de grandeur. A une condition, cependant : c’est que ceux qui le prononcent, ceux qui l’exécutent soient d’abord descendus dans leur conscience et se soient assurés qu’ils avaient encore le droit de jeter la première pierre.

Telle a été l’histoire de Parnell. On en connaît le dénoûment judiciaire. J’en ai raconté les suites politiques dans un récent article sur John Morley[1]. Quelques jours seulement s’écoulèrent entre la conclusion du procès de divorce et la réunion du parlement. Toute la tactique de Parnell consista à être introuvable pendant ces jours-là. Par ce moyen il retarda l’explosion de la lettre de rupture et réussit à se faire réélire, sans opposition et à l’unanimité, président du parti. Mais dès le lendemain, la décision de M. Gladstone était portée à la connaissance du public ; une scission se produisait parmi les députés irlandais. C’est alors

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1891.