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politique Forster, et lui, Parnell, aiderait le gouvernement à pacifier l’Irlande.

Voilà le traité « secret» de Kilmainham, et beaucoup de traités publics, écrits sur vélin avec une plume d’or, promulgués au son du canon et des cloches, me paraissent moins honnêtes et moins avouables.

Des deux parts on se préparait à l’exécuter. Forster se retira ; lord Frederick Cavendish, nommé à sa place, fut chargé de porter à Dublin la branche d’olivier. Le 6 mai, Parnell, sorti de Kilmainham, et Michel Davitt, devant qui venaient de s’ouvrir les grilles de Portland, se rencontraient à la station de Wauxhall, et retrouvaient leurs amis réunis au Westminster palace hotel, leur bruyant quartier-général. Il y eut quelques heures d’exaltation et de triomphe. Puis, dans ce ciel sans nuages, éclata un coup de tonnerre. Le soir même de son débarquement en Irlande, lord Frederick Cavendish était assassiné dans Phœnix-Park, en essayant de défendre M. Burke attaqué par les invincibles, alors que tous deux, vers la tombée du jour, montaient seuls et à pied à la lodge vice-royale où ils devaient dîner avec lord Spencer.

Les détails de ce drame, l’émotion que la nouvelle causa en Europe, sont encore familiers à beaucoup de mémoires. Dès le soir même, la nouvelle était connue au palace hotel. Ceux qui ont vu Parnell ce soir-là assurent qu’il était comme assommé, et garda le silence pendant qu’autour de lui les paroles se croisaient et qu’on échangeait les plus fiévreux discours. Dans un manifeste, aussitôt publié, les députés irlandais répudièrent solennellement, devant leur pays et devant l’histoire, toute solidarité avec les assassins. Ils vinrent tous au parlement vêtus de deuil, et quand les deux partis, par l’organe de leurs chefs, eurent rendu hommage à la noble victime, M. Parnell, plus pâle encore que de coutume, se leva pour exprimer les sentimens de ses amis. Il commença d’une voix basse, triste et comme humiliée. Un sourd murmure d’indignation grondait sur les bancs des tories et des whigs, pour lui faire entendre que ses regrets insultaient le mort et que le silence de la honte convenait seul à des Irlandais. C’est à peine si l’on put suivre les premières phrases de l’orateur. Bientôt sa voix s’éleva, vibrante et forte, pour affirmer la loyauté et la douleur de ses collègues, de l’Irlande entière dont les intérêts venaient d’être mis en péril, dont les espérances renaissantes venaient d’être encore une fois brisées et détruites par ses plus mortels ennemis. Parnell s’assit, au milieu d’un silence ému, presque sympathique ; quelques radicaux osèrent applaudir et nul ne protesta.