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Donner d’une main, frapper de l’autre ; d’une part, accorder satisfaction aux griefs de l’Irlande et attaquer résolument la réforme de la propriété foncière ; de l’autre, réprimer avec une implacable sévérité les attentats contre les biens et les personnes, de sorte que la loi fût exécutée et respectée jusqu’à sa dernière minute d’existence ; enfin, accomplir le programme de la land league et mettre les land leaguers en prison : c’est ce double plan d’action auquel s’arrêta le chef du ministère et que l’on vit se déployer pendant l’année 1881 et le commencement de l’année 1882.

Peut-être, beaucoup de lecteurs trouveront-ils que M. Gladstone avait raison dans sa double politique, et peut-être suis-je moi-même de leur avis. Mais les faits se prononcèrent dans un sens différent. Il y eut deux groupes dans le cabinet, correspondant aux deux faces de M. Gladstone, dont l’une souriait à l’Irlande, l’autre la regardait en fronçant les sourcils et en grinçant des dents. D’un côté, Dilke et Chamberlain, de l’autre Forster et lord Hartington. Si toute maison divisée contre elle-même doit périr, la prophétie ne s’appliquera-t-elle pas à certaine maison de Downing-Street où siègent les ministres de la reine ? Il était aussi à craindre que l’Irlande ne comprît pas cette attitude de croquemitaine-sauveur. En effet, c’est ce qui arriva.

Le land act de 1881 attaquait hardiment le problème agraire, créait des tribunaux spéciaux chargés d’intervenir entre le landlord et son fermier et de réduire la rente à un taux raisonnable, sans frais pour le plaignant. Cet acte visait sans ambages à la création d’un corps de paysans-propriétaires et, pour aider le tenancier à acquérir la terre, lui ouvrait un crédit par l’intermédiaire des Boards of works, avec des conditions de remboursement exceptionnellement faciles. Mais la chambre des lords, qui semble, depuis quinze ou vingt ans, le mauvais génie de la politique, par tout ce qu’elle introduisit dans la loi et surtout par tout ce qu’elle en retrancha, en atténua, à l’avance, les bons effets. D’ailleurs, — soit mauvaise volonté, information incomplète, inintelligence des choses d’Irlande ou simplement oubli, — il manquera toujours quelque chose à une loi irlandaise faite par des Anglais. Pour que le land act de 1881 fût efficace, il eût fallu d’abord déblayer le terrain, faire table rase du passé, délivrer le fermier du fardeau de l’arriéré, effroyablement accru par quatre ou cinq années de disette. C’est de quoi ne s’avisa pas le cabinet Gladstone.

Si le land act resta bien en deçà des espérances et des besoins, les mesures répressives dépassèrent de beaucoup les craintes du peuple irlandais et les exigences de l’ordre public. La loi Forster