Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manifesté quelques velléités bienfaisantes. En 1849, avait été passé l’Encumbered estate bill, pour débarrasser, au moins, la terre irlandaise d’un des parasites qui la rongent, du créancier. L’intention était bonne, le résultat fut détestable. Les domaines grevés d’hypothèques furent vendus par autorité de justice et tombèrent aux mains des spéculateurs, qui n’avaient acheté que pour revendre plus cher, et qui, en attendant, se montrèrent impitoyables pour les fermiers. Le nombre des évictions augmenta d’autant. Puis, l’Angleterre se ravisa, revint aux traditions brutales du passé avec la loi Deasy, qui prenait, encore une fois, le parti du propriétaire contre le tenancier.

C’est en 1870 seulement que fut proposé par M. Gladstone et voté par le parlement le land act qui devait marquer une ère nouvelle pour les fermiers irlandais.

Cet acte donnait au tenant right de l’Ulster une consécration légale, et, par la clause à laquelle John Bright attacha son nom, ouvrait au paysan la perspective de devenir propriétaire. Et cependant le land act de 1870 échoua, comme avait échoué vingt ans plus tôt la loi sur les domaines grevés d’hypothèques. Pour quelle raison ? Parce qu’il s’arrêtait à mi-chemin de toutes les réformes, parce qu’il ne protégeait pas les paysans contre l’augmentation de la rente. Le tenancier n’obtenait de compensation qu’en cas d’éviction arbitraire. Encore fallait-il qu’il intentât un procès à son maître. S’imagine-t-on ce que c’est qu’un procès pour un homme dont la ferme paie un loyer annuel inférieur à 200, ou même à 100 francs ? Eût-il gain de cause, le paysan restait évincé ; car comment admettre que le propriétaire, battu par lui devant la justice, s’empresserait de le rappeler sur son domaine ? Quant à la clause de Bright, elle ne produisit que des désastres individuels. Lorsque le paysan, qui avait quelques réserves, voulut acheter sa terre, il trouva sur le marché, comme compétiteurs, les gros spéculateurs de la ville ou ces usuriers de village, qui sont, en tout pays, les pires sangsues des populations rurales. Il acheta à des prix fous et se ruina.

M. Butt enchérit sur les défauts du land act en proposant à son tour un projet de loi qui compliquait encore les formalités sous prétexte d’augmenter les garanties. Si ce projet eût été voté, le paysan du Connaught eût mangé sa dernière pomme de terre en frais de justice. Jusqu’en 1879, les amis de l’Irlande demandaient que le tenant right fût régularisé, consolidé, étendu à tout le pays ; ils ne rêvaient, ne réclamaient rien au-delà. Quant au gouvernement de Disraeli, il déclarait, par la bouche de M. James