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ans, quand son pays fut menacé, il demanda à reprendre du service : «Je suis, disait-il, aussi jeune que jamais.» Il survécut encore dix ans et mourut nonagénaire. Le père de Charles Parnell a épousé la fille de cet homme-là, et l’on comprend pourquoi je me suis arrêté un moment devant cette figure étonnante.

John-Henry Parnell avait ramené sa jeune femme dans sa propriété d’Avondale, en Irlande, au comté de Wicklow. C’est là que naquit, en juin1846, le futur leader. Pendant que le petit Charles jouait sur les pelouses d’Avondale, la famine ravageait l’Irlande, mais il ne pouvait ni voir ni comprendre. A six ans commençait son éducation, qui fut tout anglaise. Des mains d’un tutor, il passe à celles d’un autre. A quoi bon des noms et des dates qu’aucun souvenir précis ne vivifie ? La générosité et l’orgueil, une qualité et un défaut qui se marient très bien, apparaissent d’abord en lui. Certain jour, à neuf ans, il donne superbement des ordres pour abreuver et héberger un peuple de valets et de cochers qui se morfondent dans la cour et que son père, plus Anglais qu’Irlandais, a oubliés. Il apprend, au milieu de ses camarades, à insensibiliser sa vanité, à ne pas entendre les insultes. L’âge venu, il va à Cambridge, y passe un an fort obscurément, en revient sans avoir pris aucun diplôme. Sa mère raconte aujourd’hui aux reporters que Charles a montré, de bonne heure, de grandes facultés ; mais il ne faut pas en croire cette pauvre femme, dont les années et l’infortune ont troublé les souvenirs. Le jeune Parnell a été un écolier et un étudiant médiocre. Le fait est constant et nécessaire à établir. Il prouve combien nous trompons les enfans en donnant la première place aux talens qui sont des maladies, à l’imagination, à la mémoire, à l’affinement nerveux de la sensibilité artistique. Charles Parnell n’avait rien lu. Sa tête, très saine, était vide de littérature. Il n’avait de goût que pour les mathématiques, surtout pour la mécanique et pour ses applications. Il ne voyait dans l’art que la reproduction des choses. « Imitez, disait-il, une théière, une marmite plutôt que de copier, après mille autres, la copie d’une copie de Raphaël. »

Il revint à Avondale et commença d’y mener l’existence d’un gentilhomme campagnard, auprès de sa mère et de ses sœurs. On les croyait douées : l’une noircissait du papier et l’autre barbouillait de la toile. Lui-même s’inclinait volontiers devant leur supériorité. « Ce sont les femmes, disait-il à un de ses amis, qui ont l’intelligence de la famille. » Bien des années après, en pleine gloire, un Magazine ayant imprimé sous son nom un essai de sa sœur Fanny, il s’indignait de la supercherie et s’écriait : « C’est bien trop bon pour moi ! »

Une miniature le représente à l’âge de vingt ans, en costume de