Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’après le rapprochement des dates, il semble que ces communications faites au nom de la cour de Vienne durent se rencontrer à Versailles jour pour jour et presque heure pour heure avec les démarches de même nature faites par le ministère anglais. Quelle situation pour un ministre des affaires étrangères de France, s’il eût été doué d’une hauteur d’esprit suffisante pour la comprendre et en tirer parti ! La paix lui était offerte par les deux puissances encore nominalement unies contre nous, à l’insu et au préjudice l’une de l’autre, se disputant en quelque sorte à la porte de son cabinet à qui obtiendrait de lui la première et la plus favorable audience. Rien n’était plus flatteur, on aurait pu même dire plus divertissant. Mais il semble que Puisieulx, que cette bonne fortune inespérée prenait par surprise, en fut plus ébloui que satisfait. Les offres de Marie-Thérèse, en particulier, lui causaient un trouble qui allait jusqu’à l’effroi. Quand le comte de Loos, ministre saxon, vint les lui transmettre, à peine le laissa-t-il achever. « Mais que dira la Prusse ? s’écria-t-il. Et si l’accommodement que nous pourrions négocier n’est pas du goût de l’Angleterre, ne croyez-vous pas que le roi de Prusse serait capable de se laisser entraîner par elle et de prendre la place de l’impératrice contre nous ? — Je pense, ai-je répondu (écrit Loos au comte de Brühl), que ce pourrait peut-être être un artifice inventé par le roi de Prusse pour vous faire peur ; mais ce prince est trop clairvoyant pour ne pas voir qu’il n’aurait pas plus tôt pris le parti que vous dites que la Silésie serait en proie à l’impératrice-reine. Croyez-moi, ne vous arrêtez pas à de telles menaces. Le roi de Prusse sait parfaitement bien qu’il a plus besoin de vous que vous n’avez de raison de le ménager. » — Puis, dans un entretien suivant, Loos s’enhardit jusqu’à représenter que l’alliance qu’il était chargé d’inaugurer était une affaire d’avenir qui pourrait survivre à la guerre terminée et que les cours catholiques de Versailles, de Vienne et de Madrid devraient rester unies dans une attitude défensive, de nature à faire face aux cours protestantes de Londres et de Berlin.

De telles vues, qui renfermaient bien un assez juste pressentiment des nécessités futures, dépassaient la portée du courage,