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Cette crainte s’emparait d’autant plus facilement de son esprit qu’il ne manquait pas, à côté d’elle, d’habiles conseillers pour l’exploiter. C’était le sujet des entretiens et des constantes incitations de l’envoyé saxon à sa cour, agissant sous l’inspiration de son ministre, le comte de Brühl ; car Brühl, on l’a vu, était toujours possédé du désir d’éloigner l’Autriche de l’Angleterre pour opérer ensuite un rapprochement avec la France, dont il rêvait d’être le médiateur. La tentative, deux fois essayée d’abord avant la paix de Dresde, et ensuite après le mariage de la dauphine, avait échoué par l’effet soit des préjugés de d’Argenson, soit de l’inexpérience et des hésitations de son successeur. Mais Brühl n’en avait pas désespéré et ne cessait pas d’y travailler. Les inquiétudes auxquelles il sut que l’impératrice était en proie lui donnaient une occasion naturelle de revenir à la charge. Il n’était pas malaisé de lui faire sentir que, si la paix devenait indispensable, il était plus facile d’obtenir, sur le point le plus délicat et qui lui tenait le plus au cœur, une issue favorable de la France que de l’Angleterre. A Versailles, nul engagement ni d’amitié, ni d’honneur avec le roi de Sardaigne, et les armes françaises étant encore maîtresses du comté de Nice et de la Savoie, il y avait dans ces provinces conquises soit une place à trouver pour la dotation de l’infant, soit un moyen d’échange pour obtenir un équivalent dans quelque autre partie des possessions piémontaises. Bref, le vrai moyen d’empêcher l’Angleterre de faire dans l’ombre, par un coup d’adresse et d’autorité, une paix tout à son profit ou à celui de son allié favori, le roi de Sardaigne, c’était d’être prêt d’avance à lui rendre la pareille et à la gagner de vitesse à la dernière heure par un arrangement direct avec la France. En tout cas, la précaution était bonne à prendre comme moyen défensif en cas de surprise. Ces représentations, faites avec adresse et persistance, ne pouvaient manquer de faire leur effet sur l’esprit déjà troublé de l’impératrice, et Brühl se crut bientôt assez sûr de n’être pas désavoué pour engager son représentant à Versailles à reprendre, avec le ministère français, les pourparlers au point où Richelieu les avait laissés l’été précédent. Le comte de Loos avait même déjà eu, à ce sujet, de mystérieux entretiens avec Puisieulx quand