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« Chesterfield m’avait bien dit, il y a six mois, que tout finirait ainsi[1]. »

Quelle était donc à La Haye même la cause de ce changement de langage ? La déplorable pénurie du trésor était-elle réelle, et en ce cas comment n’avait-elle pas été prévue ? N’était-ce au contraire qu’un prétexte suggéré par la recrudescence des sentimens jaloux que le stathouder éprouvait plus que jamais contre Cumberland ? L’annonce de l’arrivée de ce beau-frère auquel il portait des sentimens si peu fraternels, venant prendre encore une fois le commandement, sous ses yeux, avait-elle porté son impatience à un véritable degré d’exaspération ? S’était-il, par suite, subitement dégoûté de soutenir une lutte où il n’aurait, cette fois encore, que le rôle ingrat de spectateur, tandis que tous les honneurs, s’il y en avait à recueillir, seraient attribués à un rival ? C’est la supposition de M. d’Arneth, qui paraît avoir trouvé dans la correspondance de l’envoyé autrichien à Londres des motifs de la justifier ; quoi qu’il en soit, la déception n’en était pas moins cruelle.

Que faire ? comment continuer la guerre quand les anciens alliés se dérobaient par une faiblesse subite aux engagemens pris envers les nouveaux ? Comment arrêter la marche des Russes ? Comment s’en passer dans la lutte nouvelle ? Mais comment les laisser venir sans les payer ? Le premier qu’on dut aviser de ce mécompte, ce fut Cmuberland à qui il fallut remettre au moment où il s’embarquait ce qu’il appela dans un violent accès de colère le honteux papier apporté par Bentink. Ce fut lui qui fut chargé de représenter au stathouder l’impossibilité absolue où était l’Angleterre de dépenser un sou de plus pour le paiement des Russes et la nécessité où elle se verrait, si la demande était maintenue, de tendre sans délai à la conclusion de la paix.

— « Votre altesse royale, lui écrivait Newcastle sur un ton résigné et contraint, aura la bonté de parler sérieusement sur ce sujet au prince d’Orange et au greffier, et de leur faire comprendre qu’il serait impraticable de fournir même la moindre partie de la somme qu’ils demandent et surtout de leur faire sentir le déshonneur dont la république se couvrirait si elle ne pouvait fournir elle-même cette somme pour un objet aussi nécessaire que le paiement des troupes qu’elle s’est engagée à soutenir avec une extrême insistance de la part du stathouder lui-même : quelle idée se fera-t-on de la faiblesse du gouvernement de Hollande, et pour tout dire aussi de son imprudence à s’engager dans des dépenses si considérables sans pouvoir en payer la première échéance ? Quelque

  1. Pelham administration, t. I, p. 297 et suiv. — Chesterfield, Correspondance, t. III, p. 251.