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Majesté ne consent nullement, mais il faut bien qu’elle connive, puisqu’elle ne peut s’opposer par la force. » — Et, en même temps, ses bons amis les Czartoryski lui faisaient dire de se tenir en paix et de ne pas remuer, de se garder surtout de convoquer une diète où l’esprit de résistance nationale pourrait se faire jour par quelque explosion imprudente, et ils ajoutaient qu’ils se faisaient fort d’intimider, à eux tout seuls, assez leurs adversaires, pour que le passage des Russes s’opérât en douceur sans rencontrer aucune opposition. Le jeu était si visible qu’on en riait dans toutes les cours d’Allemagne : — « Voyez comme la Saxe s’amuse de vous, » disait Frédéric à Valori en haussant les épaules[1].

Il y aurait bien eu, à la vérité, pour la France un moyen de tenir la partie en Pologne même et de susciter sous les pas des Russes des obstacles qui auraient au moins retardé leur marche déjà par elle-même assez lente et embarrassée. Qu’on eût fait dire un mot à l’oreille aux amis que gardaient encore la reine de France et son vieux père dans leur terre natale et à ceux de leurs compatriotes qui avaient combattu et souffert pour eux ; qu’on réveillât tout bas les espérances des vaincus qui restaient rebelles aux influences russe et saxonne : il n’en aurait pas fallu davantage pour susciter sur ce sol toujours prêt à se soulever des résistances tumultueuses qui auraient fait, de chacune des stations de l’armée envahissante, un théâtre de combat. Déjà sans attendre même qu’on les y invitât, les chefs de l’ancien parti de Leczinski, tenant dans leur défaite à garder le nom de parti patriotique par excellence, vinrent sonder le résident de France à Varsovie, Castera, pour savoir si, au cas où ils tenteraient une levée de boucliers, la France consentirait au moins sous main à les soutenir. Ils offraient d’organiser ce qu’on appelait, par une expression consacrée, une confédération, mode d’insurrection à moitié légal, tellement passé en coutume que c’était presque une institution nationale et dont le premier effet était, en rendant les diètes impossibles, de suspendre l’action de la justice et de l’administration régulière. Il y a même lieu de croire que des émissaires secrets allèrent porter des propositions de ce genre à Versailles même, au prince de Conti, déjà séduit, comme je l’ai dit, par le mirage d’une couronne à conquérir sur les bords de la Vistule, et ce fut (on peut le supposer) le sujet des entretiens mystérieux que cet ambitieux mécontent eut, à ce moment même, avec le roi et que Luynes et

  1. Brûhl au comte de Loos, 27 février 1748. (Archives de Dresde. — Droysen, t. III, p. 413.) — Valori à Puisieulx, 26 février 1748. (Correspondance de Prusse.) — Des Essarts à Puisieulx, janvier et février 1748, passim. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.)