Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’accusation. — « Nous verrons, écrivait-il au comte de Brühl, ce que les négociations vont produire ; je désire bien sincèrement qu’elles nous donnent la paix, malgré les avantages que je pourrais espérer de la continuation de la guerre et la raison que j’aurais de la souhaiter pour jouir plus longtemps du gouvernement général des Pays-Bas que Sa Majesté Très Chrétienne vient de me donner… On me chicane encore un peu sur la forme, parce qu’en France les intendans se sont emparés de tout, et que la robe l’emporte sur l’épée ; mais quand la guerre vient, nous avons notre revanche parce qu’ils n’y entendent rien… J’espère, ajoutait-il, s’adressant directement au roi son frère, que cette campagne sera la dernière, si elle nous est heureuse, car enfin il faudra bien que la raison prenne le dessus. Je suppose que nous voulons tout rendre, comme nous disons. Jusqu’à présent, j’assurerais bien que cela est sincère, mais en mangeant l’appétit vient, comme on dit, et si enfin notre position est telle qu’on ne peut rien nous reprendre, je ne répondrais pas que pour s’indemniser des frais de la guerre on ne voulût rien rendre ; ce qui serait assez raisonnable. Mais Dieu veuille m’en préserver, car je ne prévois pas alors la fin de la guerre et j’en suis satt (comme on dit chez nous) als wenn ich es mit Löffeln gefressen hätte (j’en suis rassasié, comme si j’en avais mangé à petites cuillerées). » Mais tout rassasié de combats qu’il voulût paraître, il n’en travaillait pas moins sans relâche à un plan qu’il ne confiait à personne, même à son ami Noailles qui le pressait à la fois de conseils et de questions : « Ce sont secrets, disait-il, que je voudrais me cacher à moi-même. »

En Flandre donc et même à la porte du lieu où le congrès allait s’ouvrir, on n’entendait que le bruit des armes. Même aspect en Italie. Là, à la vérité, ce n’était plus de Belle-Isle que partaient les inspirations belliqueuses. Revenu à la cour à la fois navré et aigri, plein d’irritation et de douleur, le vieux maréchal ne semblait plus pressé de courir à de nouveaux hasards. Il se prêtait bien à former de nouveaux plans de campagne, mais sans goût, sans espoir de les faire agréer et moins encore de les voir réussir. On disait même que, fatigué d’avoir fait tant de fois vainement appel à la fortune des combats, le rôle diplomatique qu’il avait plus heureusement joué, et auquel se rattachaient les meilleurs souvenirs de sa vie, lui revenait complaisamment en mémoire, et qu’il aurait accepté volontiers la tâche d’aller parler, au nom de la France, à Aix-la-Chapelle. Mais à sa place, un autre, plus jeune, ayant subi moins de traverses et dont la confiance audacieuse aurait, en tout cas, résisté à plus d’épreuves, se proposait déjà de prendre la tête des opérations militaires au-delà des Alpes : ce n’était autre que le plus brillant des preux de Fontenoy, Richelieu lui-même, qui,