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de longues guerres civiles avaient laissé des passions religieuses toujours prêtes à se rallumer. Il fallut céder cependant à des sollicitations qui prirent un instant un caractère impérieux et presque menaçant. — « Quoi, disait le général irrité, on ne veut pas que j’aie à Bruxelles plus de pouvoir qu’un échevin ? Je n’ai donc nul crédit à la cour, et ce n’est qu’au camp qu’on veut bien se souvenir que je suis général de l’armée de Flandre. « — Il parlait alors d’aller se reposer s’il n’était pas satisfait ; et on disait tout bas que ce n’était peut-être pas à Chambord que cet étranger si récemment Français pourrait bien aller chercher une retraite. La patente royale lui fut donc donnée dans les termes qu’il désirait ; mais le public, en en prenant connaissance, ne put manquer de faire cette réflexion assez judicieusement insérée par d’Argenson dans ses Mémoires : « Moyennant ceci, le maréchal de Saxe va être fort intéressé à continuer la guerre pour faire durer les jouissances de la conquête[1]. »

Encore, si par ces jouissances que les populations épuisées payaient si cher, on n’avait entendu que l’orgueilleux plaisir du commandement et les nobles espérances de l’ambition ! mais par malheur on savait trop bien que Maurice n’aimait point à se repaître de fumée, même de celle de la gloire, et qu’il attendait de ses hauts faits des résultats plus matériels et des profits plus vulgaires. Avide d’argent, parce qu’il en était prodigue, les riches dotations dont il était comblé ne l’empêchaient pas de se montrer souvent peu délicat sur les moyens de pourvoir aux exigences d’une vie de plaisir. Des rumeurs de plus en plus tristes circulaient même à ce sujet depuis les incidens de la dernière campagne. Les gazettes d’Allemagne et de Hollande ne se faisaient pas faute d’insinuer que le commandant de l’armée française et son favori Lowendal avaient pris leur part dans ce qu’ils appelaient la curée et le brigandage de Berg-op-Zoom et que, mis en goût par ce premier gain, ils étaient en train d’organiser en commun, d’un bout de la Flandre à l’autre, un système général de concussion et de pillage. — « Des gens, de Flandre, dit encore d’Argenson (dont, à la vérité, l’humeur chagrine tenait l’oreille ouverte à tous les mauvais bruits), m’ont conté une partie des friponneries exercées par le comte de Saxe et le maréchal de Lowendal dans cette conquête. Cartouche et Mandrin n’auraient pas fait davantage ni plus impunément. » — Si, au lieu de ce mot de friponnerie un peu trop sévèrement appliqué peut-être à des faits tels que la guerre en

  1. Maurice à Noailles, 1748. (Papiers de Mouchy.) Journal de d’Argenson, t. V, p. 113-160. — (Chambrier à Frédéric, 8 mars 1748. — Ministère des affaires étrangères.)