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anglais qui se croient tenus de compter sans cesse avec l’opinion et de prendre l’initiative de réformes qu’ils jugent nécessaires ou opportunes, sans les goûter beaucoup.

Les gouvernemens aristocratiques ont leurs avantages et leurs inconvéniens. Un patriciat dont les droits sont des privilèges y attache un prix infini ; il pense s’honorer en remplissant avec zèle et dévoûment des fonctions gratuites ou à peine rémunérées. Mais il est trop sujet à considérer les affaires publiques comme des intérêts de famille ; il a le goût du mystère, il n’aime pas à s’expliquer, il décide, règle tout sous le manteau de la cheminée. Pictet était fermement convaincu que les gouvernemens doivent chercher à obtenir des citoyens « un acquiescement raisonné à leurs actes plutôt qu’une confiance aveugle en leurs intentions, » que dans un temps où les débats des chambres françaises retentissaient dans toute l’Europe, les peuples libres ne pouvaient plus s’accommoder du régime du silence. « Bien des inconvéniens, disait-il dans une brochure qu’il publia en 1818, résultent du demi-secret des débats de notre conseil souverain. La connaissance complète des discussions de ce corps éloignerait toute défiance et associerait en quelque sorte la nation aux mesures législatives... Les Genevois, qui ont donné sur le continent le premier mouvement à la discussion des principes de la liberté politique, resteront-ils dans l’ignorance sur les débats de leurs mandataires siégeant au milieu d’eux, tandis qu’ailleurs le gouvernement représentatif devient un système de diffusion universelle et rapide de la pensée ? »

Au grand scandale de plusieurs de ses amis, il reprochait aux rédacteurs de la constitution genevoise de n’avoir pas fait sa part à la démocratie, il demandait que cette constitution fût révisée, qu’on abaissât la taxe électorale. Le 15 octobre 1817, éclata une insurrection, qui ne fut à vrai dire qu’une échauffourée. On accusait les revendeurs de s’être entendus pour accaparer les pommes de terre, pour renchérir « le tubercule ami de l’homme. » On cria beaucoup, on pilla quelques boutiques et quelques charrettes ; les représentans de la loi furent insultés, maltraités. La milice appelée pour réprimer ces désordres montra peu de zèle, et un grand nombre de soldats-citoyens jugèrent à propos de rester chez eux.

Quelques mois après, Pictet prononça devant le conseil représentatif un remarquable discours, qui témoignait de la justesse et de l’élévation de son esprit. « La maladie actuelle, disait-il, est le désintéressement de la chose publique. Les conséquences sont une humeur sourde, une opposition d’inertie, l’indifférence pour les actes du gouvernement, l’indifférence aussi pour la personne des magistrats... L’existence de la maladie dont je parle n’est contestée par personne ; mais on aime à se flatter que l’habitude de cet état de