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Et je lui ai fait plaisir lorsque je lui ai dit, à table, en levant mon verre : ἅγιε ἡγούμενε, εἰς ἀνώτερα ! Ce qui peut se traduire ainsi : « Saint higoumène, je bois à votre avancement ! »

La chapelle du couvent est très étroite et fort pauvre. Les enluminures de l’iconostase sont défraîchies et ternes. Seul, le lustre d’argent étincelle. Mais de la petite terrasse qui est devant l’église, et où pend la corde des cloches, la vue s’étend très loin, sur la mer et les îles. La falaise tailladée tombe à pic dans l’eau. Au temps des pirates, ce couvent était tout à la fois un observatoire et une forteresse. Aucune voile, d’allure équivoque, ne pouvait apparaître sans être signalée par les moines, embusqués dans leur échauguette, derrière leurs créneaux en queue d’aronde. Les brigands ne pouvaient espérer de mettre la main sur les chandeliers dorés et les vieux missels : les moines étaient armés, et de chacune des meurtrières sortait la gueule d’une carabine.

Maintenant, les moines de la Panaghia Khozoviotissa, n’ayant plus rien à surveiller, profitent de leur loisir pour se livrer, sans remords, à d’innocentes flâneries. Je crois que l’administration de leurs biens ne leur donne pas grand’peine, malgré les fermes et les bénéfices, pompeusement énumérés dans une bulle d’or « du fidèle roi et empereur des Romains Michel-Doucas-Ange-Comnène Paléologue. » Quand ils ont fait labourer leurs champs et rentré leurs récoltes, ils sont à peu près libres de tout souci.

Ils ont une bibliothèque et ils y tiennent beaucoup, depuis que Johannidis en a fait le catalogue et leur a dit qu’elle contenait des manuscrits. Je suis resté avec l’ancien scolarque à remuer cette poussière, et à m’écorcher les doigts aux fermoirs, rouilles et rétifs comme les serrures qu’on n’ouvre jamais. Toutes ces paperasses gisaient pêle-mêle dans de vieux coffres rongés par les mites, et j’ai pu vérifier que les cénobites d’Amorgos entraient rarement dans leur « librairie, » où ils auraient pu lire cependant, en de belles calligraphies sur parchemin, le livre d’Éphraïm le Syrien, le martyrologe d’Ananios l’Apôtre, les discours ascétiques de l’abbé Jean et de saint Théodore, les homélies de Maxime, évêque de Cythère, et le catéchisme de Théodore le Confesseur.


IV.

Mes occupations archéologiques me donnaient une haute importance aux yeux des habitans de l’île, saisis, comme tous les Grecs, de respect et d’étonnement à la vue des Francs qui viennent des