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que les Amorgiotes me chantaient après boire ne parlaient pas de leurs propres exploits, et se lamentaient complaisamment sur ceux des autres. Ces élégies sont jolies et naïves. Voici quelques couplets que chantent encore les vieilles femmes et qui bientôt seront oubliés :

« Oiseaux, ne gazouillez pas ; arbres, ne fleurissez pas ; pleurez grandement le malheur d’Amorgos. On n’aurait jamais pu croire qu’un jour elle serait foulée par les pieds des Maniotes, et que ces chiens sans loi viendraient la ravager. Ils allèrent à Santorin, et y prirent un bateau à voiles, et les malheureux Amorgiotes n’en furent pas informés. Et, au milieu de la nuit, ils vinrent et débarquèrent. Ils prirent les vêtemens des habitans et les dépouillèrent de tout ; et ceux-ci, qui n’avaient point été avertis, ne pouvaient rien comprendre. Toutefois, au bout de quelque temps, lorsque les gens de l’île entendirent les coups de fusil, ils commencèrent à courir. Au diacre Nicétas les voleurs prirent ses innombrables ducats de Venise. Ils prirent tout ce qu’il y avait dans sa chambre, et ne lui laissèrent rien, pas même ses armes. Le fils de Refentarios était parti pour la récolte du coton ; ils allèrent dans sa maison et y établirent leur demeure. Ils lui prirent ses vêtemens, ses bijoux, ses miroirs et beaucoup d’autres choses qui lui appartenaient. Et ils coururent chez le pappas Nicolas, pour le surprendre, et ils avaient l’idée de le tuer. Ils lui prirent ses vêtemens, toutes ses affaires. Ensuite, ils se mirent à chercher le trésor de l’île. Ils finirent par le trouver dans une petite cassette. Le capitaine fut pris de joie et se mit à rire. Ils allèrent chez le diacre et frappèrent à sa porte. Celui-ci, pris de peur, lui demanda ce qu’ils voulaient : — Allons, pappas, ouvre, pour que nous entrions dans ta chambre ; et dépêche-toi, si tu tiens à ta santé. — Là aussi, ils prirent tout ce qu’ils trouvèrent, et, de toutes les tabatières du pappas, ils lui laissèrent seulement une seule. Trois d’entre eux coururent chez le pappas Manolis ; mais celui-ci, tout de suite, les prit dans son jardin, il les désarma et les jeta par terre... Markis, lorsqu’il apprit la nouvelle, ouvrit sa porte, et courut dans la montagne avec ses enfans. Il laissa sa maison ouverte. Personne de ses amis ne courut le rejoindre. Un des Maniotes, un petit, avec un grand nez, tua Dimitri le noir... Justement ce jour-là, trois barques pleines d’hommes avaient levé leurs ancres pour pécher. C’est le diable, vraiment, qui leur avait conseillé de s’en aller... »


III.

Amorgos n’a plus à craindre de pareilles surprises, et il n’y a plus de raison pour que le bourg principal de l’île se réfugie, selon