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du producteur, qu’en centralisant les services, qu’en opérant sur un chiffre d’affaires considérable, de manière à répartir les frais généraux sur un grand ensemble d’opérations, et, pour tout dire en un mot, en adoptant le programme que les grands magasins ont mis en œuvre.

Le moment est venu de prendre un parti. Veut-on supprimer le commerce en grands magasins, et, par conséquent, contraindre la grande industrie à revenir aux petits ateliers, car les deux termes de la question sont connexes ? Veut-on en revenir à la législation du moyen âge qui réglementait le nombre des apprentis et des commis dans chaque profession et qui cantonnait les citoyens dans l’exercice d’une spécialité rigoureusement déterminée ? Alors, il faut le dire franchement et agir en conséquence. Que si, d’autre part, il est prouvé que ces grands magasins ne supportent pas proportionnellement les charges fiscales qui pèsent sur les autres patentables, il faut remédier à cet abus par des règlemens d’administration.

Mais si le commerce en grands magasins est reconnu comme une institution sociale, s’il est prouvé qu’il est la résultante d’un ordre de choses qui répond aux besoins économiques et industriels, il faut l’accepter tel qu’il est, avec ses bienfaits et ses inconvéniens, et aussi avec le trouble qu’il apporte dans certains intérêts privés. Si ces grands magasins n’ont pas de raison d’exister, s’ils ne sont que le produit factice et parasite d’une coalition de capitalistes, s’il est démontré qu’ils sont contraires à l’intérêt public, contraires à la législation existante, funestes aux finances de l’État, ruineux pour l’industrie nationale, on ne doit pas craindre alors de supprimer la cause d’une perturbation économique et sociale. Ce qu’on ne comprendrait pas, c’est qu’on se contentât de faire à ces institutions une guerre de vexations et d’exactions, qui, certes, les paralyserait dans leur développement, mais qui ne les ferait pas disparaître et dont les frais retomberaient en partie sur le consommateur sans profit pour le commerce de détail que l’on prétend protéger.


GEORGES MICHEL.