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d’illogisme, c’est qu’elle est dirigée par des hommes qui constamment mettent leurs actes en contradiction avec leurs déclarations. Ainsi, le conseil municipal a soulevé la prétention de rendre obligatoire pour tous les locataires de Paris l’abonnement à la compagnie des eaux. C’était donner le dernier coup à la petite industrie expirante des porteurs d’eau en faveur d’une puissante compagnie qui, elle, dispose déjà d’un monopole. Ce même conseil municipal a créé, aux frais de la ville, une usine municipale d’électricité sans se préoccuper de savoir s’il ruinait des entreprises à peu près analogues, et s’il ne réduisait pas à la mendicité toute une armée d’allumeurs de gaz, de lampistes, de marchands de bougies, d’huile et de pétrole. Dans un autre ordre d’idées, le conseil a décrété l’usage obligatoire pour toutes les écoles de la ville d’une grammaire officielle éditée aux frais des contribuables et distribuée gratuitement aux élèves. Il était sur le point d’appliquer le même système à toutes les branches de l’enseignement. On l’a arrêté sur cette pente. Mais il n’en est pas moins vrai que, si on l’avait laissé faire, il ruinait au seul profit d’une grande maison de librairie privilégiée des centaines de petits libraires qui vivent des fournitures scolaires. Enfin, par une dernière anomalie, ce même conseil municipal, qui poursuit si vivement de sa haine les grands magasins, cherche toutes les occasions d’imiter leurs procédés et de propager leurs méthodes. Ainsi il encourage par tous les moyens possibles la fondation de sociétés coopératives de production et de consommation ; il prodigue les récompenses, les encouragemens et les subventions aux associations ouvrières qui essaient de se soustraire, par la coopération, aux exigences du commerce de détail. Certes nous ne blâmons pas le conseil d’agir ainsi ; en favorisant l’éclosion des sociétés coopératives, il rend service à l’ensemble des consommateurs ; mais au moins devrait-il être logique. Pourquoi d’un côté se pose-t-il en défenseur des petits magasins contre les grands magasins, et d’un autre côté suscite-t-il aux petits magasins la concurrence la plus terrible de toutes, celle des sociétés coopératives ?

C’est qu’en dépit de ses contradictions le conseil a la notion encore confuse, mais impérieuse, des besoins de la société moderne. Il sait que, pour améliorer sa situation, l’ouvrier doit bien plus compter sur un abaissement du prix des choses nécessaires à la vie que sur une augmentation des salaires. C’est de ce côté que tendent tous les efforts, toutes les tentatives d’amélioration sociale. Ce courant d’idées est tellement fort qu’il entraîne toutes les résistances et dirige tous les esprits. Mais ce résultat ne peut être obtenu, tout le monde le reconnaît, qu’en rapprochant le consommateur