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Crédit lyonnais, le Crédit foncier, la Société générale, ont provoqué dans le monde financier une révolution égale à celle que les grands magasins ont provoquée dans le monde commercial. On a dit qu’aucune concurrence n’était possible en présence de ces colossales institutions. Lors même que la création des institutions de crédit et la multiplication de leurs succursales auraient fait disparaître bon nombre de petits escompteurs et de banquiers d’une solidité douteuse, où serait le mal ? Le succès des grandes institutions de crédit s’explique sur beaucoup de points par les mêmes raisons que celui des grands magasins de nouveautés. Là aussi, tout se fait au comptant, et on peut dire à prix marqué. Autrefois, c’était toute une affaire que d’expédier de l’argent en province et inversement. On s’adressait d’ordinaire à un banquier, mais les formalités ne laissaient pas que d’être coûteuses, et la note des frais paraissait souvent quelque peu embrouillée. Aujourd’hui, avec le système des chèques et des succursales en province, les expéditions d’argent sont devenues aussi économiques que simplifiées. Toujours en vertu du principe de la concentration et de la diminution proportionnelle des frais généraux, les institutions de crédit peuvent se contenter de frais de courtage et d’escompte bien inférieurs à ceux que prélèvent les banques secondaires. Enfin, loin d’avoir diminué, le nombre des hommes qui vivaient du commerce de la banque et de ses dérivés a, au contraire, augmenté considérablement.

Il est donc permis de croire que les mêmes phénomènes aboutiront aux mêmes résultats. L’existence des grands magasins n’étouffera pas, d’ici longtemps au moins, le petit détaillant. Le petit magasin, le magasin de quartier aura toujours sa raison d’être, même en admettant l’extension progressive des grands magasins et du chiffre de leurs affaires. Tout le monde, en effet, n’est pas libre de faire un long trajet pour trouver un de ces grands magasins où tout se vend. Malgré la multiplicité des omnibus et des tramways, malgré la facilité donnée aux acheteurs par correspondance et le paiement contre remboursement, il y aura toujours une classe de la population qui ne se déplacera pas, soit faute de temps, soit par habitude. Faire ses emplettes dans un magasin où l’on est connu, traité avec tous les égards dus à un client de bonne paie, faire un bout de causette avec le patron, s’enquérir des nouvelles du quartier, avoir le plaisir de choisir et de palper l’objet convoité au lieu de le demander sur l’annonce d’un prospectus, tout cela constitue pour beaucoup de personnes une attraction autrement puissante que celle qu’exercent les grands magasins avec leur fourmillement incessant et leur appareil intimidant. Et