Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il ne suffit pas d’offrir au public des marchandises de première main, il faut encore le faire profiter des avantages de la concentration et de la diminution des frais généraux qui en est la conséquence. Pour bien se rendre compte de la révolution opérée par les magasins dans cet ordre d’idées, il faudrait descendre dans les détails les plus minutieux et prouver que le grand commerce, en se contentant sur chaque article d’un tant pour cent bien inférieur à celui que le petit détaillant est obligé de s’attribuer, peut réaliser des bénéfices proportionnellement supérieurs à ceux de ses concurrens que les frais généraux écrasent de leur poids. Une pareille étude nous entraînerait trop loin : nous nous contenterons de rappeler que, d’après les calculs les plus rigoureux, le grand magasin peut prospérer en ajoutant un peu plus seulement de 12 pour 100 au prix de revient, tandis que le détaillant se voit obligé de l’augmenter dans la proportion de 36 pour 100 au moins, parce que les frais généraux et par conséquent le prélèvement du vendeur sur la marchandise livrée au public diminuent à mesure que s’accroît le chiffre des affaires.

La loi est formelle, et nous en retrouvons l’application dans toutes les grandes entreprises et les sociétés coopératives bien dirigées. Voici quelques chiffres qui confirment la règle. On sait qu’il existe en Angleterre un ensemble de sociétés coopératives correspondant à toutes les classes de la population. La plus importante de ces sociétés est celle désignée sous le nom d’Army and Navy. Dans le cours de l’année 1888, cette société a acheté pour 56,267,500 francs de marchandises, qu’elle a revendues à ses membres au prix de 62,772,375 francs. Les dépenses d’exploitation ont été dans la proportion de 8 pour 100. L’association Civil service (supply association) a acheté pour 38,838,325 francs de marchandises, qui ont été vendues aux adhérens pour 43 millions 311,915 francs. Les dépenses d’exploitation ont été de 8.29 p. 100. Une autre société. Civil service (cooperative society), a fait, ventes et achats compris, pour 22,06,700 francs d’affaires. Les dépenses d’exploitation ont atteint la proportion de 11.32 p. 100. La société Junior Army and Navy, bien inférieure en importance à son aînée, a fait un chiffre d’affaires de 25,323,090 francs. Ses frais d’exploitation ont été de 12.84 p. 100.

Nous disions tout à l’heure qu’une des causes de la prospérité des grands magasins était d’avoir porté leur organisme au maximum d’efforts. Comment sont-ils parvenus à ce résultat ? Par la division du travail et la spécialisation des intelligences. La grande industrie a créé la spécialisation ouvrière ; il était réservé au grand commerce de créer la spécialisation intellectuelle. Ceci demande