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quartier et qui s’approvisionnaient en gros d’objets qu’auparavant ils faisaient venir au fur et à mesure de leurs besoins. En présence du succès obtenu par quelques-uns de ces magasins, les boutiquiers rivaux firent entendre une série de protestations que nous devions voir se reproduire cinquante années plus tard avec une intensité croissante. Mais ils firent mieux que de récriminer. Un certain nombre de commerçans de détail eurent l’idée de se grouper dans un vaste local ; chacun d’eux contribuerait aux frais de loyer et d’entretien en proportion de l’importance de son installation. De là la création du Palais Bonne-Nouvelle et plus tard celle du Bazar de l’Industrie à Paris. L’idée était heureuse. Tout en diminuant leurs frais généraux, les détaillans pouvaient offrir au public les avantages de la concentration. Le client trouvait sous la main une grande variété d’objets, et, en une heure il pouvait faire des emplettes qui eussent exigé de nombreux déplacemens et plusieurs heures de temps perdu.

Néanmoins cette innovation ne réussit pas. Pourquoi ? Parce que, en se groupant, les commerçans du Palais Bonne-Nouvelle ne s’étaient pas syndiqués. C’était une juxtaposition de petites boutiques, mais non une association d’intérêts communs. Les frais de loyer étaient, il est vrai, diminués ; mais tous les autres frais d’exploitation restaient les mêmes. Ils n’avaient pas non plus syndiqué leur crédit, c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient s’adresser directement au fabricant pour des commandes par grandes masses à la fois sur lesquelles ils eussent obtenu des réductions de prix, réductions dont le public aurait profité. Comme avant, ils continuaient de s’approvisionner par faibles quantités auprès d’intermédiaires, et leurs marchandises se trouvaient toujours grevées d’un prix de revient excessif. De plus, leur installation était rigide, c’est-à-dire qu’elle ne pouvait, faute de place, se modifier suivant les saisons et les besoins du consommateur. Enfin, et c’est là le point essentiel, l’unité de direction manquait. On avait créé un grand bazar dans le genre de ceux des villes d’Orient, mais il manquait à cette organisation un principe moteur et une âme dirigeante. Un seul terme du problème : celui relatif à la concentration des produits sur un même point, avait été, sinon résolu, au moins abordé ; tous les autres termes du problème : rapprochement du consommateur et du producteur, diminution des frais généraux par la concentration des services et l’unité de direction, avantages faits au consommateur par les bénéfices de l’achat en gros, etc., restaient à trouver.

C’est alors qu’avec l’extension des voies de communication, la facilité des transports, les modifications profondes introduites dans l’industrie, la création de besoins nouveaux, on vit grandir et prospérer